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Le défi du samedi
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5 mars 2016

Entre père et mère (Pascal)

 

Gamin, je vivais entre l’exaltation permanente de ma mère et le pragmatisme légendaire de mon père. Mes parents étaient deux esprits de contradiction perpétuellement en compétition. Quand elle ouvrait une porte, il disait aussitôt qu’un courant d’air allait la refermer en claquant ; quand elle étendait son linge, il allait pleuvoir ; quand elle partait faire ses courses, évidemment, on allait déjeuner en retard ; la soupe était toujours trop chaude ou trop froide, trop salée ou insipide. Comme un fait exprès, la porte claquait, il se mettait à pleuvoir, on mangeait tard…

Eternel insatisfait, rabat-joie, morose, j’ai rarement vu mon père sourire et encore moins s’esclaffer pendant une anecdote amusante. Les précieuses fois où il riait, il se mettait aussitôt à pleurer, comme pour s’excuser de cette dépense d’euphorie. Ce qu’il avait vécu pendant la guerre lui avait enlevé à tout jamais le goût du bonheur au quotidien. Héros médaillé de quelques faits d’armes sanglants, il n’en parlait jamais ; c’était ses blessures de l’intérieur, celles qui ne guérissent jamais. M’man ne se laissait pas faire ; elle aussi avait vécu son carcan de rudes privations pendant la débâcle.

Ce n’était pas évident de vivre au milieu de ces affrontements fréquents, ces joutes verbales aux adjectifs sans belle couleur, ou ces lourds silences de paix éphémères qui plombaient des heures de journée sans joie. Moi, je ne savais pas dans quel camp me situer ; sans condition, j’aimais les deux. J’étais partagé entre les rêves, l’imagination, les enchantements incessants de ma mère et la sagesse indolore, la justesse pondérée, le réalisme sécuritaire, celui du sombre parapluie qu’on n’oublie jamais, même quand il fait beau, de mon père.

Pourtant, je préférais parler du père Noël avec elle, plutôt qu’avec lui, parce que selon son humeur, ses réponses n’allaient pas forcément dans le sens de mes espérances de cadeaux. Plus tard, c’était pareil ; quand j’avais de mauvaises notes sur mon carnet, c’est à ma mère que j’en référais ; ses remontrances étaient encore des caresses de maman. Mon cœur balançait ; j’étais bousculé par d’intenses émotions paradoxales. Quand mon père m’emmenait à la chasse, les petits lapins des livres de contes étaient son gibier ; les grosses truites pêchées, il les cabossait sans façon contre un rocher pour que je puisse serrer dans mes bras Dame Nature.  

Tout en bivalence, c’est dans cet environnement mouvant que j’ai grandi, entre des oscillations enthousiastes et désabusées, au rythme enjoué de secondes austères, au tempo fougueusement indifférent, entre Arcole et Bérézina. Aujourd’hui, mon vieux cœur bat encore de ses dernières pulsations aussi raisonnables… que passionnées…  

 

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Commentaires
M
Superbe façon d'aborder le thème proposé !!! Bravo Pascal !
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M
Tout en bivalence, toute ambivalence. C'est chouette ton texte. J'aime bien.
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R
je retrouve un peu de mon enfance en te lisant et cela fait chaud au coeur !
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P
Merci pour vos commentaires.
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B
C'est un joli texte Pascal, tu sais bien parler de ton passé, j'aurais aimé avoir des souvenirs aussi enchanteurs du passé avec mes parents.
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B
Un texte merveilleux une histoire de vie que l'on lit du début à la fin en trouvant en chemin quelques moments de notre propre histoire<br /> <br /> <br /> <br /> Bravo et merci pour ce délicieux partage
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V
les maman sont inoubliables voilà un hommage touchant
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J
Un tempo de jeunesse qui n'a en rien entamé ta sage philosophie. <br /> <br /> Tres beau texte
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W
Entre les deux son cœur balance...
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P
Beau texte, fond et forme. La construction est très réussie. La première et la dernière phrase l'encadrent superbement. Bravo !
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C
Un texte qui pourrait être écrit par tant et tant de gens.....<br /> <br /> Et les résultats sont étonnants. .. ceux qui sont copie conforme de l'un, copie conforme de l'autre et ceux qui se forgent un tout autre caractère! <br /> <br /> Ton texte a vraiment une ''belle ecritue'' pour parler des parents....
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J
- Il faut savoir raison garder.<br /> <br /> - Il faut savoir déraison garder.<br /> <br /> - On ne vit qu'une seule fois.<br /> <br /> - Justement !<br /> <br /> <br /> <br /> C'est le principe du métronome : le balancier. On ne le peut pas nier : entre les deux mon coeur balance... et la mesure !
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V
Père-mère, sucré-salé... une cuisine où se forgent les goûts et les tempéraments
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J
Difficile d'imaginer le calvaire du papa, surtout puisque la maman avait vécu pareil...quelle chance d'avoir connu les deux pour ton narrateur !! Texte qui porte à de jolies réflexions, Pascal.
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