E finita la comedia, on a marché sur la terre… (Emma)
Il est là, collé sur le mur comme un vieux chewing gum, à grésiller doucement dans le grand silence de sable.
Solitude.
C’est sa première mission, à 11001001111 (Bip bip pour les intimes).
Sur les rayons de téléportation, des myriades d’entités pionnières se sont élancées à l’assaut de la terre, toutes frétillantes, comme les vaillants spermatozoïdes s’élançaient à l’assaut de l’ovocyte.
Le grand programme a défini clairement l’objet de la mission : trouver pourquoi, depuis des années-lumière, la terre n’émet plus le moindre signal, le moindre rayonnement, hormis refléter le soleil dans un halo laiteux.
Ils ont atterri un peu brutalement, ce qui explique que Bip bip est aplati sur le mur au-dessus du sable. C’est assez joli ces croupes de sable, cela lui rappelle le pays, à ceci près qu’il n’y a pas de vibrations, et pas de voies lumineuses.
Les autres entités n’arrêtent pas de télépather des infos. Partout sur la planète règne un merveilleux silence, rompu seulement par le bruit de maisons qui s’écroulent du haut des falaises, ou sur elles-mêmes ; dans la pénombre, des fleuves roulent des boues jaunes entre des troncs d’arbres blancs qui s’effritent parfois en poussière argentée.
D’ où il est, Bip bip ne voit que des murs et du sable, une fenêtre ouverte sur du sable encore. Sous le plafond pourtant, une haute étagère porte des objets étranges : des disques plats, un peu brillants, de couleur blanche avec un liseré bleu, et d’autres légèrement plus petits et un peu creux, sont posés debout derrière une petite rampe torsadée ; il y a aussi des cylindres transparents couverts de poussière.
Bip bip ne s’attarde pas, lui et ses collègues ne sont pas programmés pour appréhender le sens des objets matériels. Par contre ils peuvent parfaitement s’imprégner et restituer au grand programme tout ce qui touche à l’esprit et ses manifestations, reconnaître et traduire chiffres et symboles… Ailleurs sur la terre les entités s’affairent à absorber la mémoire des anciens terriens, ces êtres en forme de cubes et parallélépipèdes de plastique gris qui gisent sur des tables dans tous les bâtiments encore debout.
Rien de tel ici, mais l’attention de Bip bip est attirée par un objet plat et rectangulaire posé à côté des disques, un cahier sur lequel court une fine écriture :
Toi qui lis ces lignes, sois béni, car cela veut dire que des humains auront survécu. Le dernier message de la radio disait que les Saoudiens ont des abris antiatomiques où les réserves d’oxygène permettraient à quelques familles dirigeantes de survivre des années. Peut-être es-tu un prince saoudien ?
Qui que tu sois, je te salue et te bénis.
Les pauvres ont disparu en premier, c’est normal, il en a toujours été ainsi. Et les gens des vallées et des plaines.
Pour moi, et ceux qui ont pu se procurer des bouteilles d’air comprimé, c’est une question de jours…
De temps en temps je vois sortir des rats obèses. Les rats nous survivront, ont toujours prédit les scientifiques. Ceux-là sortent parce qu’ils ont épuisé les poches d’oxygène qui doivent rester çà et là dans le sous-sol. J’aime mieux ne pas savoir pourquoi ils sont obèses.
L’air est jaune, l’eau est jaune, le manomètre de ma bouteille est en dessous de 1/10e.
Dans ces agréables conversations spirituelles que les nantis ont parfois, un verre à la main, nous posions ce genre de question gratuite : " qu’aurions- nous le plus de mal à quitter ? ". J’ai souvent dit " Proust" ou " Mozart ", pour frimer, ou " toi ", pour séduire.
Et voilà que je me rends compte que ce qui me manque le plus, c’est Baboum, mon nounours tout pelé.
Je ne sais plus qui a écrit le résumé limpide de cette histoire de bruit et de fureur : Nostradamus ? Paulo Coelho ? …
Le ressac laissa la vie sur le rivage.
L’homme vint, petites histoires et grands massacres.
Puis le silence, minéral.
Le diable en rit encore…
Le diable ? grésille Bipbip aux copains, qui diable a la traduction pour ça ?