Entrez dans la danse (Clémence)
Elle avait annoncé sa venue tout en douceur. Des frissons, des frémissements, un engourdissement, des grondements, des déchirements et puis tout à coup, une sérénité absolue. Comme en apesanteur. La musique atonales des longues conversations était un bercement paisible, bien que certaines inquiétudes crissaient déjà de leur bémol. Les jours avaient laissé leur place aux semaines, celles-ci s'empressèrent de céder le pas aux mois.
Une nuit, l'orage se déchaîna. Arrachements, étouffements et douleurs. Un éclair, un cri.
De longues arabesques bleutées, elle est là, toute menue. C'est le printemps, le printemps du monde, le printemps de sa vie.
Mais déjà, elle danse, de bras en bras. Elle danse de ses premiers pas, elle danse de ses premières courses. Elle danse et les autres entrent dans sa danse.
C'est le temps de l'insouciance, c'est le premier temps de sa vie, celui où elle est le centre du monde.
Danser puis courir. Sauter à pieds joints dans la cour de récréation. La ronde des comptines et des crayons de couleurs. Les arcs-en-ciel d'aquarelle, les soleils oranges et les lunes bleues.
La course arrive, au galop pour les garçons, en rondes pour les filles. Les ballons de foot et la balle au chasseur.
Les sucres d'orge et les berlingots pointus.
Les premières promesses. Les premières déclarations, les premières déceptions. Les premiers toujours, le premiers jamais.
Danser, courir, puis se mesurer !
Les superlatifs, les absolus, les extrêmes. Les défis, les paris.
La tête plus haute que les étoiles, la tête remplie de tous les possibles.
Oui, elle rendra le monde meilleur. Certes, elle ne reproduira pas les mêmes erreurs.
Elle n'est plus le centre du monde, elle est le monde.
La toile est son univers.
Elle a des millions d'amis, mais elle se sent si seule. Avec les factures, les premières fractures.
Un bout de rêve s’effiloche, un pan de vie s'effondre.
Retour à la vraie vie.
Pas celle du bonheur absolu, mais celle des petits bonheurs et des petites joies qui se succèdent.
Pas celle du malheur absolu, mais celle des petites peines, des petites douleurs qui s'amassent dangereusement.
Fragile équilibre a reconquérir chaque matin, à consolider chaque soir.
Telle une horloge géante, Chronos devient chronophage, dévorant tout sur son passage.
Les il faut remplacent les j'aimerais. Les tu dois remplacent je choisis.
Les impératifs commandent au présent sous la menace d'un futur cataclysmique.
Danser sur un fil.
Courir dans son couloir,
Toujours plus vite.
Le temps aux trousses !
Quel rythme d'enfermement. Trouvera-t-elle la faille ? La toute petite faille par laquelle elle glissera, une main, une pointe de pieds, un bras en arabesque.
Retrouver les volutes bleues de la lenteur.