Reconversion (Célestine)
Quelques jours après avoir pris possession de sa somptueuse villa, Ernst Kazirra, rentrant chez lui, aperçut de loin un homme qui sortait, une caisse sur le dos, d'une porte secondaire du mur d'enceinte, et chargeait la caisse sur un camion.
Il n'eut pas le temps de le rattraper avant son départ. Alors il le suivit en auto. Et le camion roula longtemps, jusqu’à l'extrême périphérie de la ville, et s'arrêta au bord d'un vallon.
Ernst se dit qu’il allait peut-être trouver là de quoi racheter sa vie d’ancien patron de la pègre. Et que, s’il livrait aux condés cette petite frappe, qui venait de lui tirer le joyau de sa « collection privée », une œuvre qu’il avait subtilisée des années auparavant au musée de Nice, il deviendrait un héros national en restituant l’œuvre aux autorités.
A vrai dire, il voulait se ranger des voitures. Il en avait sa claque des trafics louches, des soirées interlopes et des règlements de comptes dans des bains d’hémoglobine. Celui qu’on appelait « le Boss» ne rêvait plus que d’une chose : couler des jours paisibles dans sa villa de Cap Martin, sans être obligé de garder contre son cœur son calibre à canon scié, et des as de pique dans les manches.
L’homme à la caisse s’approcha du vallon et sortit précautionneusement la statue qui jeta des éclairs d’or mauve dans l’air du soir. Un splendide bronze du XVII° siècle représentant un enfant tenant un poisson. Tout à sa jouissance d’admirer l’objet convoité, l’homme n’eut pas le temps de dire ouf. Ou plutôt si. Il fit ouf sous la violence du crochet au foie que lui dégota Ernst. Celui-ci avait gardé de bons reflexes et savait encore surprendre par-derrière n’importe quel adversaire.
Pour une fois, tout se passa selon ses plans.
Bien des années plus tard, Ernst Kazirra se remémorait ces derniers événements de son ancienne vie, tout en tirant sur un havane avec une mine de nabab. C’était bon d’être un rentier honnête, finalement. Il ouvrit son ordinateur. C’était l’heure où il officiait sur un site en tant que webmaster. Il distribuait les sujets et gérait les participations sous le pseudo de Walrus. Et il n’y avait guère qu’une obscure blogueuse de seconde zone pour l'appeler encore « le Boss ».