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11 avril 2015

La Fontaine de l’abbaye du Thoronet (Pascal)


Il a toujours été de bon présage de jeter quelques pièces de monnaie dans son eau si limpide et si rafraîchissante. L’éclat de leurs brillances, pendant ce transport aérien, est un gage de réussite ; leurs flocs de plongeon sont l’écho de la chance ; leurs tenues dans l’onde sont les reflets de la bonne fortune. Ici, impressionnés, les visiteurs viennent soudoyer leur ange gardien. L’Amour des hommes est tellement difficile à exprimer, c’est une denrée si rare ; comme s’il avait une valeur marchande, ils croient l’acquérir en l’achetant, ces chercheurs de Miséricorde.
Pendant ces émotions de pieux pourboires, ils peuvent s’aventurer à prononcer quelques formules magiques, quelques vœux sincères en futurs espoirs conquérants et en augures flamboyants. Les amoureux s’embrassent, les vieux se donnent la main et les gamins piaillent comme des moineaux excités, dérangés par cette solennité d’offrande païenne en pluie de richesse aquatique.
Tout au fond du bassin, l’or, l’argent et le bronze se mêlent en une véritable mosaïque de scintillements extraordinaires. Au calendrier des siècles, des livres de Légende racontent cette tradition ancestrale avec moult détails. En leur temps, florins, écus, sesterces, ont aussi contribué au capital sonnant et trébuchant des requêtes médiévales.

Des rumeurs anciennes m’ont parlé d’un gardien sauvage, de celui qui s’occupa longtemps de l’entretien de la fontaine et des espaces verts à l’abbaye du Thoronet. Il avait une minuscule cellule aménagée pour seule dépendance.

Les soirs d’été, quand la quiétude silencieuse retombait sur le monument, quand les cigales reprenaient leur tempo d’élytres exaltés, quand les vieilles pierres rendaient leur chaleur, nu comme au premier jour, sortant de je ne sais quelle obscure crypte, il se jetait à l’eau avec une foi de chercheur d’or toujours exacerbée.
Les dimanches de Félicité, au prix de la Charité, la cuvette de la fontaine était jonchée de centaines de pièces de monnaie. C’était l’heure où les derniers rayons de soleil caressaient les margelles et, royal, Phébus envoyait son serviteur ramasser son or… Certains soirs, on ne voyait même plus le fond tellement il étincelait de lumières pétillantes…  
Ses pieds glissaient quand il s’aventurait sur cet imprudent gué de fortune. En apnée, il plongeait récupérer le trésor de la journée. Il préparait des petits tas qu’il remontait en les coinçant entre ses mains. A la préhension, il savait tout de la drachme, de la lire, du franc, du mark, de la peseta. Avec cette poignée, il pourrait s’acheter un grand château, avec celle-là, il s’habillerait en prince ; c’était ses rêves journaliers de palefrenier de la fontaine. Il laissait flotter son seau à côté de lui et il le remplissait à la faveur de ses chargements convulsifs. Quand il reprenait son souffle, il se laissait bercer par les effluves nocturnes. Chaque brindille avait son exhalaison, chaque branche son parfum, chaque pierre sa fragrance, chaque fleur son essence. Il s’amusait à coincer les petites pièces entre ses orteils ; c’était comme un jeu de calcul où il tentait toujours d’améliorer sa pêche miraculeuse.

Il finissait toujours son œuvre d’orpailleur dans la grande pénombre, quand les cigales sopranos avaient délaissé les branches de leurs chorales musicales au profit des jeunes criquets ténors et à leurs enflammées déclamations de confiteor. Quelques grenouilles habituées tenaient concert dans les environs.
Les étoiles se baignaient sur l’onde en dansant des sarabandes de jeunes écervelées libertines. Elles étaient l’or et l’argent de la nuit ; il cherchait toujours à les attraper en s’amusant avec les tièdes éclaboussures de la fontaine. Parfois, il en capturait une dans le creux de ses mains mais il la relâchait aussitôt, tout bête d’être le geôlier d’une de ses amies angéliques. Parfois, ces coquines, elles venaient se frotter contre lui et sa peau était comme un parchemin où les signes du zodiaque s’entremêlaient en dansant de facétieuses cabales astrales !... Nul n’aurait pu mesurer tout son Bonheur tant il semblait heureux ; nulle fortune colossale n’aurait pu acheter cette Joie Céleste.

Le seau rempli, c’était toujours avec quelques regrets de jeux nuiteux qu’il quittait sa fontaine d’eldorado. Il était comme un feu follet enjoué, pourtant habité par l’œuvre de sa mission divine. Seul dans le cloître, il en connaissait tous les recoins, tous les secrets, tous les courants d’air. Tout habillé d’humilité, de piété, de candeur, de simplicité, il allait visiter chacune des statues de l’ermitage. A la lumière de quelques cierges falots, sur la marelle du parterre, on voyait ses empreintes mouillées se faufilant entre les bancs patinés du monastère. Il partageait sa récolte… A la banque des Sentiments, il était le convoyeur de fonds, le convertisseur de la gratification pécuniaire des vivants en offrandes nocturnes auprès des Saints de l’église. C’était sa pieuse corvée de change ; il était le trait d’union équitable entre les désirs des uns et l’apostolat des autres. Comme on partage le pain, il partageait son butin. Aux pieds de Saints, il versait la recette journalière. Les rondelles chromées, les jetons de casino, les boutons brillants et autres capsules de bouteilles avaient aussi leur Consacré…

Après son œuvre de distribution, toujours nu comme un ver, à même la pierre, il s’endormait souvent entre les bancs de l’église. Sa générosité d’intermédiaire l’épuisait jusqu’à l’emporter dans une douce torpeur de béatitude. Les flammes des bougies semblaient s’atténuer comme pour calmer tous les fantômes joyeux se promenant le long des murs dépouillés. La lune équivoque venait le caresser avec ses ombres amicales. Ses effets de blancheur étaient comme un voile pudique aux couleurs arc-en-ciel venant le couvrir à travers les vitraux enluminés. Pendant ces secondes d’Eternité bienheureuse, la Vierge souriante tournait son Petit vers d’autres paysages…  

Le matin, aux sonnailles de l’Angélus, il s’enfuyait dans les souterrains du monastère, avant que les guides ne reçoivent les premiers visiteurs et qu’ils ne jettent leurs oboles dans sa fontaine…

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Commentaires
F
bonjour Pascal<br /> <br /> magnifique<br /> <br /> j'aimerais vous contacter à propos de cette histoire pour peut-être en faire une composition musicale qui sera créée à l'abbaye du thoronet<br /> <br /> bien à vous jc rosaz
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M
Superbe !!!! Magique !!! Etincelant !!!!
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B
Magnifique histoire j'ai adoré Merci et Bravo Pascal
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V
belle legende je me suis laissée porter par le récit
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J
Belle histoire,<br /> <br /> Elle me semble sans fin, que deviennent les piécettes des offrandes ?
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W
Encore un moine défroqué, je suppute...
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V
Une légende qui donne envie de mettre la main à sa poche
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F
jolie histoire, j'aime beaucoup ce moment d'évasion matinal. merci !
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