Participation de Venise
Il m’avait dit de passer le voir après mon travail : « j’ai quelque chose à te montrer ». ,
En poussant la porte du bazar j’ai eu un léger tournis, et l’idée me traversa que j’avais dû avoir la berlue ou qu’une attaque de narcolepsie avait pu projeter un flux d’images incontrôlées en surimpression de la réalité.
Deux grands ptérodactyles attachés par de grosses chaines au comptoir du bazar mangeaient un seau de betteraves.
Sur des étagères qui portaient le poids du monde, boubous, toges , et djellabas multicolores étaient rangées par taille.
Des centaines de petits sachets d’hosties de miel étaient sagement alignés suspendus par des fils de pêche.
RIMBAUD qui s’était fait discret jusqu’ici me tendit en souriant un hostie en me murmurant à l’oreille ‘ l’écriture c’est du désir qui se dérobe et se voile même au plus cru de la confession’
J’avais le sentiment de me promener dans ce bazar les poches pleines de vent dans une forêt de souvenirs et d’hallucinations.
Les bras chargé de livres et d’objets divers, il surgit enfin cette sorte de robinson crusoé propriétaire du bazar.
J’avais l’œil viré sur le gros sac de cuir calé sur ses genoux et la curiosité l’emporta sur l’exaspération.
C’est le contenu de ce sac que vous vouliez me montrer ?
Es t u prêt à tenter le diable me dit il .
Alors que dehors les grands arbres étaient bousculés par les démons de l’air . on les entendait gémir dans le conduit d e cheminée.
Il sortit un navire qu’il tenait à peine dans les mains .la tempête faisait rage autour du bateau et l’équipage bravait la colère de l’océan.
J’ai manqué m’envoler en m’approchant trop prés de cette folle embarcation qui tenait dans une main.
Aucun navire ne saurait garder ses arçons sur cette monstrueuse échine Comme un phare du diable avec son doigt pointé j’ai vu de mes yeux vu l’équipage échoué sur la dernière étagère du bazar, et se figer dans de l’écume d’ivoire.
Tu viens d’assister au naufrage de ton arrière grand père me dit il d’un air entendu.
Rimbaud se rapprocha de nous, « nous devrions vivre dans un état quasi perpétuel d’effarement face à la beauté du monde. «
Quand je suis sorti de ce bazar en titubant, j’étais en larmes. Ce bazar avait mis le bazar en moi.
Ce fut une soirée décisive. Trop affecté émotionnellement j’avais gardé longtemps les mains sur le visage.
En 1916 un éclat d’obus dans le crane je revins au bazar. A peine à l’intérieur je vis mon univers mental changer de couleur.