la clé (Fairywen)
La clé.
Chaque année, en fin d’année, le même cérémonial se reproduisait au quartier général des Forces Spéciales Intergalactiques. Une tradition à la fois attendue et redoutée, car il ne s’agissait rien moins que de décerner le titre de meilleure recrue de l’année. Quoique, depuis un certain nombre d’années, la place de champion ne passionnait plus grand monde, tant l’identité du gagnant était certaine. Les paris s’ouvraient plutôt sur la place du second.
Car nul ne doutait que le premier serait encore et toujours le Chasseur. Il était le meilleur depuis son arrivée. Même après avoir été interné plusieurs mois en camp disciplinaire, il avait réussi à rafler le trophée. Bien sûr, ses succès lui valaient beaucoup de jalousies.
Il s’en moquait. Royalement.
Et pour la première fois, il se moquait aussi d’avoir gagné. Il s’en moquait même complètement. Car au fond de son cœur, il estimait avoir subi le plus cuisant des échecs. L’Ombre lui avait échappé. Encore et encore. Il l’avait traquée de planète en planète, l’avait approchée à maintes reprises, mais toujours elle s’était enfuie. Il savait bien que dans son dos, on se moquait de ses mésaventures. Car non contente de lui échapper, l’Ombre l’avait souvent ridiculisé. Comme cette fois où il s’était retrouvé attaché et littéralement emballé par un gros nœud rouge… Oh, l’Ombre avait bien tenu sa promesse, elle avait effectivement appelé les forces de l’ordre du coin pour venir le libérer. Mais elle avait pris soin d’appeler une équipe de femmes, et pendant des mois, il avait dû endurer les sourires entendus de ses collègues masculins.
Jusqu’à ce que ses poings finissent par ramener tout le monde à la raison…
Morose, le Chasseur avala d’un trait son énième verre de whisky. Il s’était éclipsé dès qu’il avait pu, et noyait ses déconvenues dans l’alcool. Il jeta un regard désabusé à la médaille qu’il arborait. Elle lui importait si peu qu’il avait pensé la refuser, mais la tradition était la tradition, et il avait supporté sans broncher des félicitations qu’il n’estimait pas mériter.
« On ne t’a jamais dit que l’alcool était mauvais pour la santé ? susurra une voix derrière lui, non, ne te retourne pas. Il y a une arme plantée dans tes reins. »
Le Chasseur s’était raidi en reconnaissant la voix de l’Ombre. Comment osait-elle entrer dans un bar empli de flics ? C’était… insensé, suicidaire… et digne d’elle.
« Tu sais qu'il suffit que je dise un mot pour que tout le bar te tombe dessus ? répliqua-t-il sur le même ton.
— Mais ce mot, tu ne le diras pas, Chasseur. Je suis armée, dangereuse, et je ferais beaucoup de dégâts dans un espace aussi restreint. Et surtout, tu ne supporterais jamais qu’in autre que toi m’arrête.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— T’offrir un cadeau, bien sûr. Ce n’est pas une tradition, d’offrir un cadeau au gagnant ? »
Une main passa à côté de lui, une main fine, mais qu’il savait forte, et déposa une clé sur le bar.
« Chambre 7, au Paradise. Garde tes médailles, j’adore ça. »
Elle s’évanouit aussi silencieusement qu’elle était venue. Il ne se retourna pas, il savait que c’était inutile. Mais il ramassa la clé et la mit dans sa poche. Il s’en voulait de ne pas pouvoir résister. Elle avait à peine posé la clé qu’il savait qu’il la rejoindrait dans la chambre 7 du Paradise.
Ça aussi, c’était une tradition. Ennemis, amants, ils se combattaient et s’aimaient tout à la fois. Il ne savait pas lui résister, et cette fois encore, il irait la retrouver.
Pour l’aimer jusqu’au bout de la nuit…
Retrouvez l'Ombre et le Chasseur ici.