Une journée ordinaire (EnlumériA)
Trois petits coups brefs réveillèrent René de sa trop courte sieste. Une femme d’une cinquantaine d’années se tenait dans l’encadrement de la porte. Un sourire incertain éclairait son visage pourtant soucieux. René se dit comme ça qu’elle n’était pas mal pour son âge. Un peu vieille pour lui, mais bon.
— Bonjour madame. Je peux faire quelque chose pour vous.
Pour toute réponse, la femme entra, posa son manteau et son sac sur le lit et poussa un long soupir de lassitude.
— Papa ! C’est moi.
Un sentiment bizarre, mélange de frayeur et d’agacement, ébranla momentanément l’humeur de René. Il haussa les épaules et regarda la femme avec un regard condescendant.
— Si c’est une plaisanterie, elle est d’un goût douteux. Vous êtes plus vieille que moi. Qui êtes-vous ?
— Ça y est, c’est reparti, marmonna la femme.
Elle prit place sur la chaise réservée aux visiteurs et ajusta sa jupe sur ses genoux.
— Papa. Regarde tes mains.
— Quoi, mes mains ?
D’un signe de tête autoritaire, elle réitéra son ordre. René regarda ses mains. Des mains noueuses et tavelées. Des mains de vieillard.
— Mais… je ne comprends pas, je…
— Papa ! C’est moi, Sylvie. Ta fille.
René se replia sur lui-même. Le livre qu’il lisait avant de s’endormir lui tomba des mains. Celle qui disait s’appelait Sylvie se baissa pour le ramasser. Elle lut le titre : Contes de la Fin du Monde.
— C’est intéressant ? Ça parle de quoi ?
René jeta un regard rapide vers la fenêtre. Le temps s’était assombrit. Il remit ses rares cheveux en place, comme pour se donner une contenance. La mémoire lui revenait peu à peu.
— C’est un recueil de nouvelles. La première parle d’une civilisation future qui a perdu jusqu’au souvenir de ses origines. L’Empreinte. J’aime bien. Ça passe le temps, il n’y a rien à la télé à cette heure.
— Tu veux qu’on aille faire un tour ? Pour te dégourdir les jambes.
René déclina l’offre. Il avait mal aux jambes.
— J’ai mal aux jambes. C’est couillon, hein, pour un ancien marathonien.
Sylvie lui adressa un sourire indulgent.
— C’est pas grave, va. Tiens ! Je t’ai apporté des douceurs et un DVD. Sur la route de Madison, de Clint Eastwood. Tu verras, ça devrait te plaire.
La conversation se poursuivit sur le mode pain d’épice café machine. À la fois sempiternel et tendre. Le flou mental de René s’estompait un peu. Puis vint le moment pour Sylvie de prendre congé. Bisous et je-reviendrai-jeudi. Fin de la représentation.
René dina d’une soupe de potiron et d’un morceau de fromage. Ensuite, il regarda le film que lui avait apporté Sylvie. Une histoire d’amour terrible et magnifique.
Tard dans la soirée, René sombra dans un sommeil peuplé de rire d’enfants. Lorsqu’il se leva, le soleil était déjà haut. Il remarqua que quelqu’un avait déposé un DVD sur sa table nuit. Sur la route de Madison.
Il en fit part à l’infirmière qui venait pour les soins.
— Regardez. On m’a apporté un film. Je l’ai pas vu celui-là. Je le regarderai ce soir, tranquillement.
Évreux, 19 décembre 2014.