Cicatrices (par joye)
L’attaque fut brutale mais sommaire.
À moment donné, il y a vingt mois, deux semaines, et trois jours, entre 17h45 et 18h, un soir pendant qu’elle rentrait du boulot, ma femme fut attaquée. Battue. Violée. Meurtrie. Défigurée.
Autant qu'on puisse savoir, son assaillant réussit d’abord à lui casser le bras gauche et la cheville droite en la jetant par terre. Ensuite, il dut piétiner sa tête, écrasant la moitié droite de son visage contre le trottoir. Grâce à un miracle quelconque, il ne lui brisa pas le cou.
Et, pendant qu’elle saignait, pendant qu’elle souffrait, pendant que sa mâchoire ruinée l’empêchait d’appeler au secours, il lui fit une dernière violation.
Il dut lui cracher à la figure avant de se sauver. J’espère qu’elle était inconsciente, qu’elle ne se rendait pas compte que tous ces passants, rentrant à la même heure qu’elle, sur le même chemin qu’elle, ne virent rien. N’entendirent rien. Jusqu’ici, elle et moi nous n’en parlâmes pas.
Enfin, quelqu’un la remarqua dans l’obscurité, pas très loin de la sortie du métro et appela la police. Les secouristes, en arrivant, retrouvèrent ma femme au bord du trottoir, froissée et moite, comme un bout de papier de soie écarlate foncé et jeté au caniveau.
Je me souviens de nos retrouvailles, à l’hosto, après. Je ne regardai pas les plâtres. Je ne regardai son corps, qui paraissait bizarrement tordu sous le drap. Je n’osai pas trop regarder son visage, ni ses yeux enflés.
Muet, je ne vis que sa joue droite, suintant comme une part de steak tartare sous la lumière d’examen cruelle au-dessus de son lit.
Vous savez, elle ne s'en souvient pas, et moi, je ne me souviens plus du tout de notre couple d’avant. Maintenant, notre quotidien est un cauchemar rouge criant, peuplé de toubibs et d'infirmières, de consultations, de marathons d’interventions chirurgicales, de médocs, de thérapie physique et psychiatrique, et encore - comme vous pouvez bien vous imaginer.
Parmi d’autres marques profondes qui resteront à tout jamais, le chirurgien ne sut pas réparer cette cicatrice énorme qui recouvre encore sa joue droite comme une toile d’araignée de filigrane, comme des branches nues d’un arbre en hiver. Au commencement, la blessure était la couleur de la colère. D’abord rouge, puis pourpre, puis cramoisie.
Hier, pour la première fois depuis une éternité, nous allâmes nous promener au bord du lac. Assise sur un banc, elle regarda l’eau.
Moi, j’étudiai les branches de l’arbre contre le bleu clair de l’eau.