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17 janvier 2015

L’empreinte (EnlumériA)


C’est un robot-groom à la voix chuintante et au pas menu qui introduisit l’archéo-docteur Sorlens dans l’antichambre. Angoissé et vaguement fébrile, il tenait contre sa poitrine la petite mallette dans laquelle il conservait sa découverte. C’était la première fois qu’il rencontrait le Sondeur-Commodore Lëondradt ; et le voyage interminable et pour tout dire angoissant l’avait épuisé.
« Son excellence le Sondeur-Commodore Lëondradt va vous recevoir dans un instant, dit le robot-groom. Souhaitez-vous un rafraichissement pour patienter ? »
L’archéo-docteur Sorlens déclina l’offre et prit place sur un élégant fauteuil furtif aux formes incertaines. Il posa délicatement sa mallette sur ses genoux serrés et attendit. Les accords lancinants d’une musique venue de nulle part conférait à la pièce une atmosphère feutrée. Les minutes s’égrenaient comme à regret. Dans le vaste miroir qui ornait l’antichambre, Sorlens discernait un petit homme fluet aux épaules rentrées, à la silhouette étriquée, presque insignifiant. Cependant le regard clair et dur que lui renvoyait son reflet exprimait un indéfinissable sentiment de ruse mêlée d’opiniâtreté.  
La porte s’ouvrit enfin sur un homme de haute stature vêtu de l’uniforme pourpre propre à son rang. Sorlens reconnut immédiatement le chambellan Mercy, premier conseiller du Sondeur-Commodore.
— Docteur Sorlens. Salut et fraternité. Vous avez fait bon voyage ? Venez. Le Sondeur-Commodore vous attend avec impatience. Il a hâte d’apprécier votre découverte à sa juste mesure.
Sorlens se leva pour serrer la main du conseiller qui s’effaça aussitôt pour lui permettre d’entrer dans le bureau du Sondeur-Commodore. Ce dernier se tenait debout près de la baie vitrée. Un large sourire éclairait la barbe de jais qu’il portait à la mode du moment. Il était habillé avec la simplicité des moines Shonsay. Une bague d’onyx à sa main droite témoignait d’une touche de fantaisie.
— Ainsi, voilà notre éminent archéo-docteur. Merci d’avoir répondu à mon invitation. Je vous en prie, veuillez prendre place, dit le Sondeur-Commodore de cette voix ample et grave qui trahissait la présence d’implants vocodeurs.
Sorlens, plus intimidé qu’effrayé au final, s’installa du bout des fesses sur le siège, sa mallette toujours blottie contre sa poitrine. Lëondradt prit place en vis-à-vis. Il observait l’archéo-docteur d’un œil curieux. Il se rencogna dans son siège et croisant les bras demanda si Sorlens avait eu le temps d’apprécier Furianow, la capitale de Terra Austria. L’archéo-docteur se plia de bonne grâce à cette futile entrée en matière, puis fit mine de présenter sa mallette.
— Je crois que le temps de votre excellence est précieux. Me permettez-vous de…
— Mais, justement, j’allais y venir, coupa Lëondradt. Ainsi, il semble que vous ayez mis la main sur une découverte exceptionnelle. Mercy m’a parlé d’une sorte de référence à de vieux mythes. Pourriez-vous éclaircir ma modeste lanterne.
Pour toute réponse, Sorlens ouvrit la mallette et en présenta le contenu au Sondeur-Commodore. Celui-ci se pencha un peu, intrigué et perplexe.
— Je ne comprends pas très bien ce que c’est, fit-il sur le ton de la confidence. Pouvez-vous m’expliquer.
L’archéo-docteur se racla la gorge pour s’éclaircir la voix, puis sortit avec d’extrêmes précautions une plaque de syncristal dans laquelle était sertie une forme oblongue assez incompréhensible parcourue par de fins réseaux grisâtres ponctués de minuscules taches blanches.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Lëondradt. On dirait une image à deux dimensions. C’est absurde.
— C’est une empreinte graphique, expliqua Sorlens. C’est très ancien. D’après les analyses, cet objet aurait aux alentours de 6 ou 700 années standards.
Lëondradt émis un sifflement admiratif.
— Tant que ça. Mais docteur, on dirait que cette chose a été manufacturée. Or chacun sait que le monde de cette lointaine époque n’était qu’un désert de poussière tout juste peuplé de lichens et de bêtes.
— Il semblerait que non. J’ai découvert cette empreinte dans une bizarre configuration rocheuse géométriquement parfaite. Un peu comme les vestiges d’une habitation. Mon équipe a également extrait du sédiment divers artefacts.
— Mais… Selon l’Académie d’Histoire Sainte, la raison a été révélée aux Hommes par Notre Sublime Sondeur, il y a seulement trois siècles. Toute autre explication relève…
— du mythe ?
— Ou du blasphème. La frontière est mince, docteur.
Un frisson parcourut les épaules de Sorlens. Il n’aimait pas ce qu’il venait de lire dans le regard de son interlocuteur.
— C’est vraiment ce que vous pensez ? Moi, je ne vous parle que de science, excellence. Regardez mieux cette empreinte et dites-moi ce que vous voyez.
Le Sondeur-Commodore se caressait le menton d’un air absent. Il adressa un bref signe de tête au chambellan pour l’inviter à regarder aussi. Ce dernier posa familièrement sa main sur l’épaule de Lëondradt et examina attentivement l’empreinte. Une expression de profond scepticisme mêlé d’incompréhension se lisait sur le visage des deux hommes.
— Voyez, Excellence. Observez bien les réseaux qui parcourent l’empreinte. Remarquez que cela ressemble à des tiges irrégulières.
— Oui. Comme si elles avaient été tordues et redressées. Mais, docteur, sur quoi sont-elles posées ces tiges ?
— Elles ne sont posées sur rien, expliqua Sorlens. La surface grise que vous voyez autour, c’est le ciel.
— Le ciel ? De cette couleur ? s’écria le Chambellan. Mais c’est absurde. Le ciel n’a jamais été gris. Il est jaune. Il a toujours été jaune depuis le premier jour de la création.
— Et pourtant, ce ne peut-être que le ciel parce que…
— Parce que ?
Sorlens attendit un instant. Le Sondeur-Commodore l’observait avec cet air étrange qui laisse présager quelque ennui à venir. Le Chambellan était blanc comme un linge. Un silence de mauvais aloi encrassait l’atmosphère. Au-dehors, le vrombissement aigre d’un orthoptère apporta une touche de bizarrerie supplémentaire.
— J’attends votre théorie avec impatience, dit Lëondradt d’une voix blanche.
— Ce que vous voyez sur cette empreinte était un… arbre, excellence.
Le Sondeur-Commodore se leva d’un bond, faisant sursauter du même coup Mercy et Sorlens. Les mains jointes dans le dos, il se dirigea vers la baie vitrée et regarda au dehors. Il semblait soudain extrêmement préoccupé. Le chambellan Mercy s’approcha du bar et se servit un verre de liqueur sans en proposer à Sorlens.
D’interminables minutes s’écoulèrent, chacun demeurant sur son quant-à-soi. On percevait la respiration oppressé du docteur et celle plus profonde du Chambellan. Lëondradt semblait de marbre.
Enfin, il se retourna vers l’archéo-docteur.
— Il semble que vous ayez soulevé un point de divergence. Je ne vous savez pas partisan de l’ancienne croyance. Docteur, si les savants de l’Académie d’Histoire Sainte disent que le monde a été peuplé par l’Homme il y a trois siècles grâce à Notre Sublime Sondeur, je le crois et si je dis que les arbres sont des créatures mythiques qui n’ont jamais existé, j’aime qu’on me croie. Ne suis-je pas, par mon statut, le commandeur des croyants ? Oseriez-vous mettre ma parole en doute ?
— Certes non, votre excellence. Mon but n’est que d’enrichir nos connaissances. Je…
— Nous allons conserver votre… empreinte afin de la faire étudier par nos savants. Je vous souhaite un bon séjour dans notre capitale, cher docteur. Je vous ferai part de mes conclusions dans quelques jours.
Ainsi, l’entretien était terminé. L’archéo-docteur Sorlens prit donc congé selon le protocole, accompagné par le robot-majordome qui prononça les formules d’usage.
Aussitôt seuls, les deux hommes se regardèrent avec un air de connivence. Le Sondeur-Commodore décrocha le téléphone.
— Capitaine Chonsoert. L’archéo-docteur Sorlens s’apprête à quitter le palais. C’est un homme dangereux. Stoppez-le !

Évreux, le 16 janvier 2015

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Commentaires
B
très beau texte EnlumériA mais cela ne me surprend plus maintenant ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Bravo
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M
Excellent !!! Inquiétant !!! Epatant !!!!
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V
ne lâche pas l'affaire , tu tiens une sacré histoire !!
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E
waouh, une sacrée bonne histoire de SF ! inquiétante comme elles sont toutes
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K
non c'est pas ton style de faire dans l'involontaire ....(lol)<br /> <br /> toujours bien écrit oui
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J
Comme quoi il n'est pas toujours bon de ramener sa science ! Un récit de S.F. auquel l'actualité fait cruellement écho. Impeccablement écrit, très branché !<br /> <br /> <br /> <br /> Tout cela pour dire : Bravo EnlumériA !
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F
très beau texte, et tellement vrai ! Il suffit de changer un peu d'époque, et voilà, on y est...
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J
Cela me rappelle Tonton et le Rainbow Warrior. Malheureusement.<br /> <br /> <br /> <br /> Nan, je plaisante. Un peu. Beau texte bien mené. J'ai lu aussi récemment les mots de quelqu'un qui disait qu'une planète plus chaude ne serait que bien ! Je lui ai demandé s'il savait nager.<br /> <br /> <br /> <br /> Tout cela pour dire : Bravo EnlumériA.
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W
Un Sondeur-Commodore ? Ce serait pas celui qui s'occupe du toucher de prostate ?
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V
Ils sont encore loin de se douter que celui-là cache une forêt !!
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