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Le défi du samedi
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18 octobre 2014

L’autre (Fairywen)

 

L’autre.

 

Il la haïssait. Elle était tout ce qu’il ne supportait pas chez une femme. Elle était indépendante, têtue, se fichait comme d’une guigne de tout ce qui était régime et assumait ses rondeurs, ne suivait pas la mode, ne se maquillait pas, n’hésitait pas à dire ce qu’elle pensait –il était d’ailleurs difficile d’avoir le dernier mot avec elle-, et surtout, surtout, elle ne se pâmait pas d’admiration devant lui. Combien de fois avait-il cherché à la prendre en défaut… ? Il ne savait plus. Il savait juste qu’il avait échoué, toujours. Elle était efficace et douée dans son travail, et ça le faisait bouillir de rage.

Et puis un jour il crut avoir enfin trouvé une faille. Elle n’était pas venue ce matin-là, elle ne vint pas le suivant, ni celui d’après. Jubilant d’avance, il alla voir le chef du personnel pour signaler une absence injustifiée, ravi de pouvoir enfin causer des ennuis à celle à qui il ne cessait de penser. Son vis-à-vis le laissa achever sa diatribe avant de lui jeter un regard où se mêlaient la pitié et le mépris :

« Vous ne savez donc pas… ?

-Savoir quoi ?

-Vous êtes bien le seul, alors… Elle a été renversée par une voiture, elle est à l’hôpital, dans le coma, et son état est critique. »

Ce fut comme s’il recevait un coup de poing. Il blêmit, recula d’un pas, refusant la réalité de ce qu’il venait d’entendre et soudain, il tourna les talons et sortit en courant, bousculant sans ménagement tous ceux qui avaient le malheur de se trouver sur son passage. Il n’y avait qu’un seul hôpital dans la ville, il s’y rendit sans ralentir, et débita sans respirer le mensonge qu’il avait forgé : c’était sa fiancée, il était en déplacement lorsque l’accident était arrivé, il n’avait pas pu être là plus tôt… Touchées par l’évident désespoir de ce beau jeune homme, par son air égaré et échevelé, les infirmières le laissèrent entrer dans la chambre.

Lorsqu’il la vit sur ce lit d’hôpital, si pâle, branchée à tous ses tuyaux, il crut que son propre cœur allait s’arrêter. Il s’approcha lentement et s’agenouilla à côté du lit. Doucement, il prit sa main dans la sienne et y posa ses lèvres en murmurant :

« Ne me laisse pas… »

 

Jour après jour il revint, pour lui parler, lui lire des livres, lui dire qu’il l’attendait. Au début, la famille de la jeune femme s’était étonnée de sa présence. Il avait usé de son charme naturel pour les séduire, et bientôt plus personne ne se rappela qu’elle ne leur avait jamais parlé d’un quelconque fiancé. Il lui parlait de lui, de son enfance, de ce qu’il aimait. Il lui disait qu’il l’emmènerait faire le tour du monde, qu’il l’aimerait comme elle n’avait jamais été aimée. Il la suppliait de revenir.

Et puis un jour où il s’était endormi à son chevet, épuisé, le miracle eut lieu. Il sentit une caresse sur sa joue mal rasée, une caresse légère, hésitante. Il releva brusquement la tête et croisa son regard, un regard à la fois doux et perplexe.

« Tu es revenue…, lâcha-t-il dans un souffle.

-Je voulais partir. La douleur était trop forte. Et puis j’ai entendu une voix m’appeler, une voix qui avait mal, alors je suis restée.

-Je suis venu dès que j’ai su. Sans toi, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Ne t’en va pas, mon amour. Je t’aime. »

Elle sourit. Elle n’était pas étonnée. Durant toutes ces semaines, dans le brouillard dans lequel elle flottait, elle s’était raccrochée à sa voix, à ces mots qui lui disaient tout ce qu’il s’était caché à lui-même, cette attirance immédiate qu’il avait ressenti pour elle qui ne correspondait pas le moins du monde à ce qu’il recherchait chez une femme et qu’il avait caché sous cette agressivité débordante. Alors qu’elle était inconsciente, il l’avait touchée, séduite, elle avait appris à le connaître pendant qu’il lui ouvrait son cœur, ce cœur si bien cadenassé que personne n’en avait jamais trouvé la clé.

« Me pardonneras-tu ? murmura-t-il en effleurant ses doigts de ses lèvres.

-Sais-tu seulement combien de fois tu m’as demandé pardon ?

-Tu m’as donc entendu ?

-J’étais dans un monde étrange. Je pouvais voir, entendre, mais pas répondre. Je t’ai entendu, oui. J’ai attendu tes visites, aussi. J’avais toujours peur que tu ne viennes plus.

-Alors si tu le veux bien, je vais m’enchaîner à toi, pour la vie. »

Pour la première fois, elle lui rendit son baiser lorsqu’il posa ses lèvres sur les siennes.

 

Elle était encore en fauteuil roulant lorsqu’ils se marièrent. Un mariage qui en surprit plus d’un, mais il supporta avec bonne humeur les commentaires gentiment railleurs dont il fut la cible, tandis qu’elle riait doucement. Et lorsqu’il vit la magnifique photo scotchée sur la porte de son bureau, qui représentait un chien et un chat se faisant face, poils hérissés et regard peu amène, il comprit qu’il en avait encore pour quelque temps à supporter les railleries de ses collègues.

 

Mais à vrai dire, il s’en moquait…

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Commentaires
E
Se faire à moitié tuer pour trouver l'amour, l'idée est surprenante, mais ne dit-on pas que l'amour et la mort son proches parents.
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P
Belle illustration du défi... bisous Fairywen
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J
Ne pas se fier aux apparences....<br /> <br /> En voici la démonstration
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J
À vrai dire, en commençant la lecture, je me disais que "elle" était un chat. Et puis, non.<br /> <br /> <br /> <br /> Cela me rappelle un film actuellement à l'affiche chez moi "If I Stay" mais le jeune couple s'aimait avant l'accident. Je ne sais pas si tu en as déjà entendu parler.<br /> <br /> <br /> <br /> Ah, grâce à toi, j'apprends qu'on a traduit le titre mot-à-mot : <br /> <br /> <br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Si_je_reste_%28film%29
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F
Oh là là, après avoir lu vos textes, je me demande si je suis bien dans le thème, moi qui, pour une fois, ne parle pas d'animaux :) !!!
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F
Merci à tous !! Je suis contente que mon historiette vous plaise. J'ai un montage photo pour l'accompagner, il est visible ici :<br /> <br /> http://encoursdelecture.canalblog.com/archives/2014/10/18/30774862.html<br /> <br /> <br /> <br /> Je suis un peu débordée, en c moment ; je n'arrive plus à envoyer les montages avec les textes :). Bon, je vais à présent lire les vôtres ; j'ai un peu de temps à moi
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M
Très touchant ce "« Ne me laisse pas… »" ! Une très belle histoire qui me plaît beaucoup !
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B
Rondelette et irrésistible cette jeune femme <br /> <br /> <br /> <br /> Merci Fairywen pour ton texte émouvant, amusant, tendre <br /> <br /> <br /> <br /> J'adore
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W
Rondement mené !
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V
Ronron...
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