Participation de Nhand
DES ROSES BLANCHES POUR MAMAN
Le soir où je suis revenu de Sicile, maman, toujours aussi impatiente et curieuse, est passée à l'appartement. N'empêche, j'étais bien content qu'elle soit là. Evidemment, content de la revoir, comme à chaque fois, soyons honnêtes. Mais surtout heureux comme un môme prêt à explorer son menu Happy Meal, parce qu'elle avait pensé à m'apporter un Tupperware pour mon dîner. Elle est comme ça, maman, elle veille à tout, peut-être un peu trop, parfois. Quoi qu'il en soit, je n'allais pas faire la fine bouche et retoquer son inénarrable salade de coquillettes aux fruits de mer, que j'ai d'ailleurs engloutie en moins de temps qu'il ne faut pour commander une pizza. C'est que je crevais la dalle ! Je n'avais rien avalé depuis des heures, tout était payant dans mon super Airbus low-cost, et, franchement, lâcher 10€60 pour un pitoyable sandwich au goût de plastique – que même un dogue affamé aurait renié – ainsi qu'une risible cannette d'une contenance de 25cl et un dessert chocolaté bourré de chimie qui n'a de fondant que le nom, merci, très peu pour moi !
Elle jubilait, maman. Elle avait réussi son coup. Et sa bienveillance maternelle ne s'est pas arrêtée là.
« Ouvre-moi ta valise, je prends ton linge sale pour le laver, tu le récupéreras dimanche. Tu n'as pas oublié que ton père fête ses 60 ans, dimanche ! »
Jusque-là, rien de bizarre, ça lui ressemble tellement de vouloir être aux petits soins pour ses enfants, quitte à exagérer, c'est le contraire qui m'aurait paru inquiétant. Mais je ne voulais pas abuser. Je lui ai donc rappelé, calmement, que je suis un grand garçon, que je dispose d'une laverie juste en bas de chez moi, que je m'occuperais de tout ça plus tard... Peine perdue !
« Pourquoi dépenser pour une lessive ? C'est ridicule, je te fais la totale et gratuitement, moi : lavage, repassage, pliage... Allez, cesse de rechigner, où est ta valise ?
- Non, maman, ça va aller, je t'assure.
- Permets-moi d'insister ! »
Passablement épuisé, n'ayant de surcroît ni le courage ni la force de l'écouter fustiger encore et encore la soi-disant efficacité douteuse des machines publiques, j'ai cédé. Du regard, je lui ai désigné le sac posé dans l'entrée.
« Pas seulement ton bagage à main, mon chéri, file-moi tout !
- Tout est là.
- Quoi ? Tu plaisantes !
- Non.
- Tu n'as emporté que ça ?
- C'est largement assez.
- Mais on ne met rien, là-dedans !
- Je ne suis pas parti six mois en Patagonie, maman, juste une semaine à deux heures de vol de Paris ! Quelques shorts, quelques t-shirts, sept caleçons, un maillot de bain, une polaire pour l'Etna, un bob, une serviette, une trousse de toilette, un nécessaire à pharmacie, un tube de crème solaire, une boîte de préservatifs, le dernier Nothomb, ça suffit amplement.
- Et les chaussettes ?
- Pas besoin, j'étais en tongs.
- Tu as fait l'ascension de l'Etna en tongs ?
- On accède en voiture jusqu'à 2800 mètres d'altitude, après quoi on parcourt l'essentiel du trajet restant en téléphérique... Je n'ai pas eu à crapahuter beaucoup, c'était parfait, les tongs. »
J'ai ouvert le sac-à-dos, j'en ai sorti mes vêtements roulés en boule – fleurant tantôt la mer, tantôt la sueur du globe-trotter, tantôt les deux –, les ai fourrés dans un cabas avant de tendre l'ensemble à maman, qui n'en finissait plus d'écarquiller les mirettes d'ahurissement.
« Et... pas de souvenirs, rien ?
- Hein ?
- Quand on voyage, mon chéri, ça se fait, de rentrer avec dans ses bagages des souvenirs du pays que l'on a visité... »
J'ai dû lui expliquer, en long, en large et en travers, qu'il y a belles lurettes que je ne m'encombre plus de babioles attrape-touristes qui ne servent qu'à remplir inutilement les étagères ou les fonds de cartons terminant leur course au milieu de la poussière, de l'humidité et des rats de la cave. Je ne loge pas dans un 120m², l'espace manque – et coûte une fortune à Paris ! –, je voyage souvent à l'étranger, en moyenne trois fois dans l'année, vous vous rendez compte si je devais toujours revenir avec ceci ou cela ? Je ne tiens pas non plus à entretenir une caverne d'Ali Baba de pacotille sous mon lit, pas davantage un musée des horreurs dans mon salon exigu. A part deux malheureux cailloux volcaniques ramassés au sommet de l'Etna – qui tiennent parfaitement dans une poche de pantalon –, les photos prises avec mon smartphone, les adresses mail de quatre ou cinq personnes auxquelles je n'écrirai sans doute jamais, quelques kilos dans les poignées d'amour et un bronzage presque intégral, je n'ai rien rapporté de mes vacances siciliennes. Ni céramique de Caltagirone, ni tapis d'Erice, ni papyrus de Syracuse, ni huile d'olive extra-vierge kore de Serradifalco... Le Marsala ? J'y ai goûté sur place, tout comme à la granita, aux charcuteries, à la figue de barbarie et autres cestino alla mandorla. Sinon, les souvenirs sont là, dans ma tête, un peu dans mon cœur, et ça me convient très bien ainsi.
Pendant que je parlais, je voyais maman dépitée, son visage se refermer sur une moue de désappointement de plus en plus flagrante. Mais qu'est-ce qui la chagrinait ? Je n'ai pas tardé à en connaître la réponse.
« Et tu n'as pas pensé à ta vieille mère...
- Bien sûr que si, détrompe-toi, tous les jours !
- Même une broutille, ça m'aurait fait plaisir. Ne serait-ce qu'un foulard, un bibelot quelconque, un bracelet à un euro déniché au marché, une cartouche de cigarettes achetée au duty free shop de l'aéroport...
- Je vous ai envoyé une carte postale, à papa et toi. Vous la recevrez bientôt. Tu le sais, ça met toujours des plombes à arriver, les cartes postales... »
Soudain, j'étais confus. Je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'elle me balance un tel reproche en pleine figure, d'autant que précédemment, j'étais déjà rentré d'Islande et du Portugal, les mains vides. Quelle mouche l'avait donc piquée ? Du coup, je me suis promis de me rattraper en me pointant dimanche avec ses fleurs préférées : des roses blanches.