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Le défi du samedi
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12 juillet 2014

Où il est question de carrioles et de charriots (EnlumériA)


Le réveil fut pénible. La nuit avait été longue et inconfortable. Un pâle rayon de soleil traversait un vasistas poussiéreux. Une douleur au flanc rappela à Damien le coup de pied dans les côtes qui, la veille, l’avait forcé à se relever plus vite qu’il n’aurait voulu. Ensuite, tout s’était enchaîné à toute vitesse. Tiré à hue et à dia par les croupiers, Damien avait traversé les cuisines pour sortir par la porte de derrière. Une porte dérobée qui débouchait sur une ruelle crasseuse et malodorante dans laquelle on entreposait les poubelles. Ils parcoururent ainsi une vingtaine de mètres et s’engouffrèrent sous un porche ténébreux. Sandalphon referma le vantail derrière lui tandis qu’Orphaniel et Damien traversaient une cour pavée pauvrement éclairée par une lumière jaunâtre émanant d’une fenêtre. Il y avait une porte au fond. Ils pénétrèrent dans une sorte de buanderie où croupissait une vieille carriole chargée de peaux de lapin sur laquelle était appuyée une bicyclette rutilante pour arriver dans un appartement encombré de cartons défoncés et de ballots mal ficelés entassés les uns sur les autres à la va comme je te pousse. Au milieu de ce charivari, trois buveurs ensuqués au look approximatif de zonards de luxe trinquaient à d’improbables accordailles.
Sandalphon expliqua la situation aux types qui n’en pouvaient mais. Orphaniel et Damien montèrent à l’étage. Damien ne résistait plus que symboliquement. À quoi bon ? De toute façon, il ne comprenait rien aux événements en cours et pour tout dire son esprit ne s’était pas encore tout à fait remis de ses agapes à l’hydromel frelaté.
Orphaniel l’enferma dans une chambre mansardée et pauvrement meublée. Pas une carafe d’eau pour la soif, rien pour la toilette. Dans un coin, juste un pot de chambre. La porte verrouillée à double tour. Damien se laissa tomber sur le lit. Le matelas sentait le suint et le sommier défoncé grinçait. Il s’endormit comme un sac.

Un bruit de clé dans la serrure. Sandalphon entra. Sobrement vêtu d’une veste militaire et d’un pantalon de treillis, il était méconnaissable. Il apportait des vêtements qu’il jeta sur le lit. Il ordonna à Damien de se changer, précisant que sa tenue n’était pas adaptée au voyage qu’ils devaient entreprendre. Il ajouta encore qu’on allait lui servir une collation mais qu’il fallait faire vite. Le départ pour Kitej prévu initialement la veille était imminent. Il repartit sans plus d’explications. Où était Kitej ? Qu’allait-on y faire ? Motus.

Une femme entra l’instant d’après. Elle déposa sur la table de chevet un plateau sur lequel se trouvaient une cafetière, un bol ébréché, quelques biscottes et un pot de confiture. Indéterminée la confiture. Le café se révéla du jus de chaussette. Néanmoins, Damien prit plaisir à en boire un grand bol. Sans sucre. Pas de sucre dans ce patelin. Les biscottes étaient humides, la confiture avait un goût de betterave… ou de melon. Damien ne savait pas mais il avait faim. Cela suffisait pour qu’il ne prête pas trop attention à la carte.
La femme émit un petit rire malicieux. Elle dit que ce n’était pas du premier choix mais qu’on n’était pas au Charing-Cross Hôtel ici. Qu’il fallait s’en contenter. Elle s’assit à côté de Damien, lui resservit un autre bol de café et le regarda d’un air bienveillant. Son regard bleu exprimait une sorte de sagesse fringante. Elle dit s’appelait Célestine. Damien hocha la tête en se tartinant une autre biscotte.
Elle raconta qu’elle aussi était arrivée dans ce monde un peu par mégarde. Elle était alpiniste dans une autre vie. Pendant ses vacances, elle s’attaquait modestement à de petits monts sans prétention. Pas le genre toujours plus haut. C’était comme une ponctuation dans sa vie monotone de professeur de géométrie perturbée par une houssomanie galopante. Un jour qu’elle était à la recherche de son prince du Loch sur les contreforts du lac de l’Eychauda, elle aperçut en contrebas, par-delà la magie étincelante du lac sous le soleil de juin, une curieuse masure avec sur le toit… un violon ? Un bœuf ? Non, monsieur, une charrette – Une lueur de spleen passa dans ses yeux alors qu’elle évoquait cet évènement – Elle en fut tellement troublée que son pied ripa sur un rocher glissant. Elle s’était réveillée à Yemanja ; sans trop savoir pourquoi ni comment. Son seul regret ? Avoir loupé le spectacle River Dance Forever pour lequel elle avait deux billets.

En bas, la voix stridente d’Orphaniel beuglait des ordres confus. Dans la rue, un chahut de bêtes et de charriots évoquait l’ambiance d’un champ de foire. Célestine observa qu’il était temps pour Damien de se changer. La caravane allait partir incessamment. Elle lui demanda si toutefois il pouvait lui montrer sa ligne de cœur ; une petite manie qu’elle cultivait depuis l’enfance. Damien tendit sa main ouverte. Célestine poussa un petit cri de souris craintive. Dieu du ciel ! Mais vous avez la marque !

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Commentaires
E
J'ai voulu la raccourcir celle-là, mais ça ne sonnait pas.
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J
Cette semaine, il a fallu un moment pour retrouver tes rythmes de Faulkner : <br /> <br /> <br /> <br /> §<br /> <br /> <br /> <br /> Ils pénétrèrent dans une sorte de buanderie où croupissait une vieille carriole chargée de peaux de lapin sur laquelle était appuyée une bicyclette rutilante pour arriver dans un appartement encombré de cartons défoncés et de ballots mal ficelés entassés les uns sur les autres à la va comme je te pousse.<br /> <br /> <br /> <br /> §<br /> <br /> <br /> <br /> Et un défi, un vrai ! Comme les noms Sandophon et Orphaniel, qui me font penser à Oryx et Crake par Margaret Atwood.
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K
de ce temps là les nus pieds sont conseillés !! enfin chez nous !!hihiiiiiiiiiiiii
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M
Excellente suite vraiment ! Que de rebondissements !!!! Chapeau pour l'enchaînement ! Du grand art ! Et Célestine est à la fête ! EXTRA !!!
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B
Ah ! Super l'aventure continue j'apprécie vraiment vivement la semaine pour la suite !!!<br /> <br /> <br /> <br /> c'est au tour de Celestine je vois, mais elle au moins ne t'a pas fâché son sort est plus doux ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Bravo EnlumeriA et à bientôt
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T
Eeeh beh !<br /> <br /> Fichu pari que raccorder ce récit aux défis samediens. C'est de la haute-voltige !
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J
Comme quoi d’une charrette peuvent émerger de nouvelles aventures palpitantes à Damien :)<br /> <br /> la suite promet...
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K
célestine sera contente en montagnarde confirmée et diseuse de bonne aventure<br /> <br /> <br /> <br /> la marque du temps ne s'efface pas de toute façon!
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W
Ah, les marques... ce sont bien les plaies de notre temps !
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F
Je suis un peu comme Daniel et me demande où on va, mais j'adore cette histoire !!
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