5 juillet 2014
Leçon de ponctuation (Célestine)
- Maîtresse, parle-nous de la ponctuation.
- Eh bien, la ponctuation, voyez-vous, c'est le sel et le poivre. Si vous l'oubliez, votre texte sera fade.
J'aime la ponctuation particulière que la vie pose sur nos phrases.
Les phrases que nous choisissons afin de remplir la page blanche dont chaque jour nous fait cadeau.
Ne froncez pas les sourcils, voyons! C'est évident...
La vie est faite de pleins et de déliés, de longues phrases et de mots isolés, d'exclamations joyeuses ou effrayées et d'interrogations curieuses ou inquiètes, de pauses ténues comme des virgules,et de points sur les i. L'avenir est suspendu au-dessus de nos têtes comme au bout de trois points de... suspension, comme un souffle momentanément retenu. Jusqu'au point final.
- Pas tout de suite, le point final, maîtresse!
- Non, pas tout de suite, mes chers enfants. Il vous faudra d'abord développer de longues années votre sujet...
Et de temps en temps, ouvrir une parenthèse. Ce mot est un peu austère. Il recèle pourtant des trésors et sa musique est douce à mon oreille.
On dirait deux jolis bras arrondis levés vers le ciel.
Avec elle, la vie prend du sens, la vie prend du sel.
Parfois, au hasard d'une promenade, on tombe en arrêt devant deux mouettes qui picorent insouciantes sur le sable mouillé. Ou un arbre centenaire. Ou une fourmilière qui s'agite. Le temps s'arrête. On rêve une demi-heure devant un tableau, seul dans le Musée, les yeux noyés de brume. Quand on se "réveille", on a l'impression de ne plus savoir l'heure qu'il est.
Les parenthèses, il faut se les octroyer, se les offrir comme une récompense, parce qu'il est bon de se cajoler soi-même.
Ce sont des instants volés à la routine, aux conventions, à la lassitude, aux devoirs. De petits grains de poivre dans le plat un peu fade des jours gris. Des étincelles de magie pure dans un monde rectiligne et qui manque parfois sérieusement de fantaisie. Il n'est que de regarder la tête triste du présentateur du journal télévisé pour avoir envie de partir très loin... dans un champ de coquelicots, courir au milieu des fleurs, les cheveux défaits avec dans l'air un parfum de foin coupé, de bergamote et de pin cembro, à respirer en riant comme un gaz hilarant, en sentant les abeilles vous frôler doucement et tout l'univers se pencher pour vous faire une révérence...
Voilà, c'est cela, une parenthèse.
Quelques grammes de poésie qui ne demandent qu'à jaillir.
Il est des parenthèses enchantées, des parenthèses étoilées, des parenthèses secrètes. Cela demande parfois un peu de courage, de l'audace même, et une bonne ouverture d'esprit. Quelque part, cela se mérite.
Personnellement, certaines parenthèses m'ont laissé un souvenir ébloui, et, par une sorte de persistance rétinienne, l'empreinte de ces bonheurs furtifs reste à jamais gravé sous mes paupières.
Je ne saurais trop vous conseiller d'ouvrir des parenthèses, avec bonheur, avec fougue, avec joie. Et sans l'ombre d'une hésitation, ou l'once d'un sentiment coupable. Simplement parce que vous le valez bien...
Et quand vous les refermerez, je vous l'assure, il vous semblera que l'air s'est empli soudain de menthe et d'aneth.
On respire. On repart plus jeune. Et en même temps, grandi.
Alors vous avez compris, les enfants ?
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