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Le défi du samedi
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5 juillet 2014

Céleste est mal barrée ! (Joe Krapov)

(E-specially dedicated to my dear oncle Walrus)

Quand il commençait à se battre avec son oreiller, à constater qu’il s’était mis au lit trop tôt, à décortiquer les phases de son endormissement et ses impressions de rêve éveillé ou pas, elle arrivait pour le soutenir, pour l’abrutir, l’embrouiller, l’embrumer mais elle faisait pis que tout car malgré son homosexualité, elle voyait bien qu’il ne voulait pas se laisser aller dans les bras de Morphée et c’est donc elle qui, hachée de points-virgules, souillée de subjonctifs plus que parfaits mais fortement chargés en miasmes et en chiasmes, étirée jusqu'à plus soif en vue de perturber la compréhension du lecteur éventuel, récupérait les symptômes de l’écrivain asthmatique et se trouvait comme aspirée dans le tourbillon de la douche mémorielle projetée à jet continu sur les parois du souvenir et la nostalgie crasse se détachait par bribes, l’encalminait au point que tout un univers de jeunes filles en fleurs, de barons, de causeurs, d’aristocrates, de salonnards et de gloseurs, avec un art certain de ventiler le snobisme et la pseudo-modernité au sein d’un classicisme verbeux et pédantesque l’envahissait, lui donnait le tournis, lui faisait oublier sa justification première, à savoir la joie de communiquer simplement une idée, une émotion, une douleur, une banalité, un échange de politesses, du genre « Si le nez de Cléopâtre avait été plus long on n'en s'rait pas là !», « Tiens tiens tiens c’est le printemps qui vient !» « Et l’on dit merde en se pinçant les doigts », « Tout va très bien madame la marquise », «Vous permettez que j’déballe mes outils ? Oui mais faites vite qu’on lui a dit» et c’en était au point qu’elle avait des velléités grossières de soulager son maître, son auteur, de lui suggérer les mêmes pratiques physiques que celles qu’il faisait subir à l’intellect patient de ses lecteurs intellectuels et elle riait sous cape en imaginant que le petit Marcel eût pu, plutôt que de perdre son temps à s’agiter les neurones dans le noir, étrangler frénétiquement le borgne, recourir à la veuve Poignet, dessiner dans ses draps fins une carte de France animée sur laquelle le hasard lui eût fait disposer, d’un jet ou de plusieurs, Jouy-en-Josas, Gif-sur-Yvette, Bourg-la-Reine et Tremblay-les-Gonzesses dans un même alignement géographique surréaliste mais elle savait bien que chez ces gens-là, monsieur, ça ne se fait pas et que cet humour de garçon boucher ou de troisième mi-temps de match de rugby qu’elle tenait de son mari chauffeur de taxi, s’il avait eu sur l’insomniaque l’effet d’endormissement béat souhaité, n’eût pas été goûté de la postérité admirative pour qui elle-même, tirant à la ligne, usant de ficelles grosses comme celles qui soutiennent au-dessus de la rue populeuse le funambule somnambule, faisait tout son cirque ce soir, bien qu’elle ne fût qu’une modeste servante dévouée à l’accomplissement de l’œuvre majeur, se fatiguant au bout du compte de ce qu’on pût passer ainsi sa vie à causer, gloser, dégoiser sur un monde si étriqué alors que l’on sortait d’une énorme boucherie, 14-18 qui eût dû logiquement faire agir, réagir et lutter contre le même système qui avait permis cela, et rêvant du moment où, à la phrase alambiquée, tortueuse et finalement très amusante qu’elle était, Marcel, malgré qu’il en ait, consentirait à mettre un terme en posant, à l’issue d’une dernière aspiration d’air frais à la fenêtre ou au terme d’une énième relecture, son stylo et un point final qui lui eût permis à elle-même, pauvre phrase céleste égarée dans un océan de papier prétentieux comme une humble prolétaire ne comptant que pour beurre dans un magma de sept milliards d’individus, de se terminer à sa façon, ou plutôt à celle de Charles Trénet qui chantait que « Les jours de repassage, Dans la maison qui dort, La bonne n'est pas sage Mais on la garde encore : On l'a trouvée hier soir, Derrière la porte de bois, Avec une passoire Se donnant de la joie".

DDS305 Céleste Albaret

Céleste Albaret par Jean Claude Fourneau (1957)

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Commentaires
T
Étourdissant !
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R
faut du souffle .. mais c'est super <br /> <br /> comme d'hab <br /> <br /> <br /> <br /> merci
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J
C’est l’ère du recyclage qui vient à point.<br /> <br /> Pourquoi pas un stylo ?<br /> <br /> Avis aux collectionneurs-euses- et ils sont nombreux !
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M
A lambiqué nul n'est tenu !!! :-) Pourquoi faire simple aurait dit Marcel .... quand on peut tout compliquer !!! Céleste a eu bien du mérite et n'a jamais songé à se barrer !!!<br /> <br /> Tu nous l'as savamment conté ! :-D
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B
Du début jusqu'à la fin suspendu à tes mots et c'est toujours un grand plaisir de te lire <br /> <br /> <br /> <br /> Bravo Joe Krapov
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T
J'aime toujours autant tes textes ! *_*
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K
ce qui me gêne dans ton texte c'est que tu ne vas jamais à la ligne refaire des paragraphes ce qui serait plus facile à lire... moi aussi je pensais que tu avais dédié ce texte à célestine notre céleste à nous..<br /> <br /> mais non il s'agit d'une autre céleste dont le destin est funeste!
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E
Vite ! Ma Ventoline. J'aime bien l'expression " étrangler le borgne ". Il y a " cirer le pingouin " aussi.
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W
Sans vouloir te faire de peine, cher neveu, tu as encore du boulot devant toi : j'ai tout bien compris dans ta phrase. C'est loin d'être le cas avec celles de Marcel !
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J
C'est plus Faulkner que Proust, cher Joe, pour la longueur de tes deux phrases dont un seul point, qui vient comme il faut, après l'extase et aussi la lessive(*) ou au moins le repassage.<br /> <br /> <br /> <br /> Ta Céleste est une très bonne étoile, merci de nous l'avoir présentée.<br /> <br /> <br /> <br /> (*) Après l'extase, la lessive. - Dicton zen
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F
Le truc, pour travailler son apnée, c'est de lire le texte sans respirer...
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C
C'est en lisant le titre de ton billet que je me suis dit que peut-être, nonobstant une certaine prétention inhérente à tout lecteur qui se sent toujours concerné au premier chef par ce qu'il lit, comme si l'auteur le connaissait personnellement, tu n'avais peut-être pas choisi au hasard le prénom de Céleste qui est, en quelque sorte mon vrai prénom, celui de Célestine étant le pseudo derrière lequel je me cache pour écrire sur le net des délires anarchiques et circonvolutifs qui cependant n'arriveront jamais à la cheville du quart de la moitié des tiens, tout inspiré que tu es par l'écriture d'un certain Marcel et surtout par la répulsion qu'éprouve à son encontre ton oncle putatif. Point.
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