Participation de Nhand
MON PREMIER SOIR AU DSS
La direction du cours de théâtre auquel je m'étais inscrit cette année-là proposait également de suivre le DSS – comprenez : le Défi Scénique du Samedi.
Il n'y avait bien sûr aucune obligation, c'était optionnel. Et puisqu'il fallait s'acquitter de la somme de cent francs mensuel en plus des deux-mille-deux-cents à payer chaque trimestre, j'hésitai longuement avant de me décider – c'est bien connu, les étudiants n'ont pas de gros moyens.
Au-delà de l'aspect purement financier, cependant, je me sentais surtout incapable de faire ce qu'on y demandait. En effet, chaque samedi soir, les participants devaient, par binôme, investir la scène et improviser un mini-dialogue à partir d'un thème tiré au sort. Autant dire qu'une telle perspective m'effrayait un peu. Malgré tout, deux de mes acolytes parvinrent à me convaincre de tenter l'aventure.
Nous arrivâmes pile à l'heure, ce samedi de novembre. Cédric et Solène étaient tout excités. Moi, j'étais mort de trac, j'avais les mains moites, la gorge nouée et une boule au ventre qui enflait à mesure que se rapprochait le moment redouté de se jeter à l'eau.
M'exprimer devant un public ? J'en avais plutôt l'habitude. Mémoriser une pièce entière ? C'était parfaitement dans mes cordes. Mais l'improvisation...
Le professeur entra. Il se délesta de sa gabardine sur le dossier d'une chaise, posa une espèce de corbeille à pain sur le bureau, chaussa ses loupes sur le bout du nez puis se retroussa les manches. J'eus envie de me sauver. Trop tard, ils nous avait repérés – Cédric, Solène et moi. Après nous avoir souhaité la bienvenue au DSS, il nous fit savoir que nous n'étions pas obligés de participer, puisque c'était notre première fois. Je poussai intérieurement un immense ouf de soulagement. Détendu, je me calai confortablement au fond du fauteuil et me tint prêt à profiter du spectacle.
Une brune et sa copine blonde se portèrent volontaires. L'une et l'autre, visiblement aguerries à ce type d'exercice, se précipitèrent sur l'estrade avec enthousiasme. Pour elles, c'était devenu un véritable jeu.
La brune plongea sa main dans la corbeille et en retira un morceau de papier qu'elle déplia aussitôt. Le sujet du défi qu'elles avaient à remplir fut le suivant : points noirs, avec pour contrainte d'insérer une fois le mot point, au singulier ou au pluriel, dans chacune de leur répliques.
Elles se concertèrent quelques secondes en se chuchotant quelques idées à l'oreille, puis se lancèrent :
- L'Eau Précieuse, tu connais ? Contre les points noirs, c'est radical, tu devrais essayer !
- Je ne crois point aux vertus de ces soi-disant solutions miracle.
- Tu as tort ! A ta place, je mettrais un point d'honneur à soigner mon apparence, surtout avec le métier que tu exerces.
- Un point noir par-ci, par-là... Je ne vais pas en mourir !
- Par-ci, par-là ? Ta trombine ressemble en tout point à une galette saupoudrée de graines de nigelle...
- Mettons les points sur les i une bonne fois pour toutes : ça me regarde !
- Tu les considères comme des points de repère, peut-être ? Là, c'est clair, tu es très repérable, impossible de te confondre avec une autre blonde !
- Va donc tournicoter autour du rond-point pour voir si j'y suis !
- Ah, tu te braques, j'ai touché un point sensible.
- Que nenni... Est-ce que j'ai l'air d'être sur le point de craquer ? Je suis très calme !
- C'est un point de vue...
- Je l'admets, parfois, tu as le don de m'irriter au plus haut point.
- Chouette, j'ai marqué un point !
- Tu mériterais que je te décalque au tire-point.
- A ce point ?
- Tu feras moins ta maligne après, quand tu seras criblée de points de suture.
- Tu gagnerais beaucoup à suivre mon conseil, un point c'est tout !
- Mets ton moteur au point mort, s'il te plaît, tu me fatigues !
- Je te le dis, moi : pour nous, les filles, sans produits de beauté, point de salut !
- Mais pour qui tu te prends ! Pour la Valérie Damido des ravalements corporels qui tomberait à point nommé ?
- Point trop n'en faut ! Encore que...
- A t'écouter, je suis mal en point !
- Tu comptes te présenter au Point-Virgule dans cet état ?
- Inutile de te servir de mon spectacle comme d'un point d'appui à tes arguments, c'est bas !
- Un one-woman-show bien au point, c'est aussi une comédienne visuellement impeccable !
- Pas de panique, le maquillage est à l'artiste ce que le cache-point est à la couture...
- Tu en as tellement de ces machins disgracieux qu'aucun fond de teint n'en viendrait à bout. Au concours de Miss Points Noirs, tu gagnerais haut la main.
- Arrête de m'angoisser avec ça, tu vas finir par me filer un point de côté !
- Non mais sérieusement, arrange-toi, ou tu atteindras vite le point de non-retour, et là...
- Bon, stop, point final, j'en ai assez entendu pour aujourd'hui.
L'assistance applaudit. Quel talent, quel souffle, quelle prouesse ! Je me doutais bien qu'en matière d'impro certains savaient se surpasser, être réactifs, trouver les mots, faire preuve d'imagination, construire de but en blanc un vrai dialogue qui tienne la route, qui donne l'impression que c'est complètement naturel et spontané, mais là, c'était tout juste bluffant, voire décourageant. Presque aucune hésitation, quasiment pas de blancs, et, de surcroît, les consignes imposées furent rigoureusement respectées... A croire qu'elles étaient de mèche avec le professeur, que ce dernier leur avait soufflé les thèmes à l'avance et qu'elles y avaient travaillé.
Les binômes suivants ne déméritèrent pas non plus leurs titres de champions de l'impro. Tous se montrèrent à la hauteur, vifs et inventifs, à tel point que je finis par me demander si j'allais continuer...
Alors, à votre avis, suis-je ou non revenu au DSS ?
Nhand