Charing-Cross (Célestine)
Il courait comme un fou à perdre haleine sur les dalles noires et blanches du sol de la gare. Il jouait sur ce damier géant son dernier joker, tel un roi déchu de sa tour. Et les voyageurs semblaient devant lui comme des pions innombrables freinant sa route.
« Bataille perdue ! Echec et mat ! » Répétaient les haut-parleurs de Charing-Cross.
Au jeu de l’amour et du hasard, il lui semblait pourtant qu’il n’avait pas encore joué sa dernière carte, ni dit son dernier mot. Il lui fallait la rattraper avant que le train de la vie ne l’emportât à jamais.
Alice ! cria-t-il en croyant apercevoir sa chevelure brune sur un duffle-coat rouge sang. Pardonne-moi!
Un gigantesque lapin blanc tenait dans ses pattes l’horloge monumentale de la gare. Ses dents énormes lui faisaient un rictus ignominieux.
Et la vapeur de la locomotive commençait à envahir le plateau de jeu, de son panache cotonneux. Les silhouettes paraissaient moins nettes. Tout se fondait dans une brume de silence et d’angoisse.
Alice, je t’aime ! hurla-t-il, bousculant sur le quai un nain jaune qui le menaça de son poing, les fesses aplaties dans la neige molle de novembre.
Mais aucun son ne sortit plus de sa gorge étranglée.
Tous ces personnages ricanant, grimaçants, n’étaient que des quilles sans importance sur la piste d’un bowling dérisoire. Pourtant il avait l'impression de comparaître devant ses juges. Le train s’ébranla. Le rideau de fer de la boutique « La Dame de Pique » retomba lourdement avec un fracas de tonnerre dans son cœur lacéré.
Midi sonna, il trébucha.
Alice…
Il regarda longuement le long monstre d’acier qui emportait sa reine.
Et s’offrit à ses dents de métal hurlant, dans un long cri silencieux.