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Le défi du samedi
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17 mai 2014

Les Bermudes (EnlumériA)

Mais où était encore passé ce chat. Damien, la gamelle de croquettes à la main, se sentait stupide. Voilà qu’il s’inquiétait de l’absence d’un chat qui n’était même pas le sien. Il l’avait trouvé là, dans cette improbable pièce au centre de la maison, le jour de son arrivée. Comment était-il arrivé là ? Mystère.

Posant la gamelle sur le sol, Damien se remémora l’expression impavide du notaire qui lui avait annoncé que « vous voilà chez vous, monsieur Dexter » en lui remettant les clés.

Une plaque en tôle émaillée apposée près du portail indiquait sobrement : Les Bermudes.

« N’était-il pas étrange qu’une maison normande, à colombages, soit baptisée de cet improbable nom ? » s’était enquis Damien. À quoi, le notaire avait répondu que l’ancien propriétaire, un marin à la retraite, y avait certainement trouvé du sens.

Damien sortit sur le pas de la porte et alluma une cigarette en se promettant – comme chaque jour – qu’il arrêterait demain. Promis juré.

L’ancien propriétaire. Parlons-en. Le capitaine Charles D. Ward, un obscur parent à la mode de Bretagne comme on dit. Le bonhomme avait disparu on ne sait où – probablement mort – en laissant une propriété en déshérence à la sortie de Conches-en-Ouche, sur la route d’Évreux, ainsi qu’une lettre chez le notaire stipulant de léguer ses biens à un certain Damien Dexter au cas où il ne donnerait pas de nouvelles avant le 31 mars de l’année en cours.

Damien se rappelait aisément ce curieux sentiment d’étrangeté qu’il avait ressenti lorsqu’il avait reçu la lettre du notaire l’informant qu’il venait d’hériter d’un oncle d’Amérique. Manquait plus que ça ! Il se souvenait aussi de cette appréhension larvée qui l’avait submergée quand il avait visité la maison. Oh ! Elle n’avait rien d’extraordinaire, cette bâtisse, à part son nom décalé et cette… absurdité architecturale.

Damien éteignit sa cigarette dans un pot de fleurs et empoigna sa veste sur la patère. L’idée venait de lui venir comme ça. Aller boire l’apéritif au café que fréquentait l’oncle mystérieux. Deux ou trois choses à préciser.

Pendant le petit quart d’heure que dura le trajet, Damien rumina les évènements récents.

Voyons. Il était arrivé quatre jours auparavant, avec quoi. Une valise de fringues, sa guitare, son ordinateur portable et une caisse de bouquins. C’était tout ce qui lui restait de sa désastreuse liaison avec Marjorie. Désastre qui avait conduit celle-ci au suicide. Putain de vie !

Il s’était installé dans la maison vendredi. Il n’avait pas trop galéré pour trouver son chemin tout compte fait. À croire que son antique 4L connaissait le chemin. Le bled était paumé, sans rapport avec l’appartement parisien de Marjorie. Cela tombait bien, il n’avait qu’une envie, celle de disparaître. Le temps de terminer ce roman sur lequel il travaillait depuis… trop longtemps.

Si cela n’avait tenu qu’à lui, Damien aurait débaptisé cette baraque et sa pièce aberrante pour la renommer : « Territoire de l’inquiétude », comme la fameuse anthologie d’Alain Dorémieux.

La Toison verte se trouvait en face de l’église. Ils sont spécialistes des noms patraques ici, songea Damien en poussant la porte du bistrot. À l’intérieur trois papis à casquette tapaient le carton autour d’un verre de rouge. Un jeune baguenaudier en vrac contre le juke-box racontait des histoires à dormir debout à une midinette gothique en rires et en vacances chez sa grand-mère. Le patron l’accueillit avec son bon sourire de lune rousse.

Bonjour, monsieur Dexter. Alors ! Y se fait au climat de la Normandie le gars de Paris. Et qu’est-ce qu’y prendra ?

Damien commanda une Suze.

Je vais peut-être vous paraître un peu rasoir, mais j’aimerais bien qu’on parle encore de mon oncle.

Le patron fit un signe d’approbation tout en astiquant ses verres.

Ah ! Le capitaine. On l’aimait bien. Y venait tous les soirs jouer au tarot avec les anciens. Il était bizarre, mais marrant. Tous les samedis, invariablement, à dix-neuf heures tapantes, y mettait une thune dans le juke-box et y commandait Highway to Hell de ACDC. Uniquement le samedi. Y disait comme ça que c’était la fête au baron. Il a jamais dit qui c’était ce baron.

Le baron Samedi.

C’est qui ça ?

Laissez tomber. C’est pas grave.

Le patron laissa tomber et repris :

Les mômes l’avaient surnommé le Capitaine Hard-rock. N’y voyez pas offense.

Pensez-vous. C’était sans doute à cause de cette barbe qu’il avait, répondit Damien, se souvenant de cette photo sur la cheminée. Dites-moi… La pièce…

Le patron posa son verre avant de l’user et se servit de cidre. Une ombre passa sur son visage de Pierrot rougeaud.

Ah ! La pièce. Comment dire… C’était son idée à lui. On raconte que du temps où y faisait du trafic entre Porto Rico et la Floride, il avait rencontré des drôles d’oiseaux.

Quel genre d’oiseaux ? Remettez-moi ça, s’il vous plait.

Du genre que j’aurais pas voulu rencontrer au coin d’un bois, si j’ai bien compris ce que racontait le capitaine quand il en avait un coup dans le nez.

Mais encore ?

Le patron se pencha vers Damien. Il en faisait des tonnes question regardez-moi comme je sais conspirer.

Du genre Vaudou, magie noire, des conneries comme ça, si y voit ce que je veux dire. Le capitaine, y disait qu’il avait rencontré une espèce de sorcière là-bas. Attendez ! Charlie ! C’est comment qu’elle s’appelait la poule du capitaine qu’y nous racontait tout le temps. Maora, c’est ça ? C’est ça.

Maora, murmura Damien comme pour lui-même. Tss ! Ça lui rappelait quelque chose, mais quoi.

Le patron attrapa la bouteille de Suze.

Allez ! C’est la tournée du patron. Les derniers temps, il avait contacté des entrepreneurs du coin, le capitaine. Y voulait faire arranger la maison qu’y disait.

Ouaip ! fit Damien avant de lamper cul sec son godet. Ben, faut croire qu’il en a trouvé un qu’à fait le boulot.

Le patron s’essuya la bouche d’un revers de main. Une lueur navrée s’abritait dans ses yeux de hibou.

Comme vous dites. C’est à partir de ce jour-là qu’il a plus été comme avant, le capitaine. Il est devenu tout gris, tout triste. Y parlait de cette Maora sans arrêt. Y maigrissait à vue d’œil. Y venait presque plus, jusqu’au jour où on s’est quand même demandé ce qui se passait.

Le dénommé Charlie, l’un des papis a casquette s’approcha pour régler son addition. Il considéra Damien comme s’il s’agissait d’un romanichel. Une sorte de lippe dédaigneuse déformait sa bouche. Il y glissa une cigarette sans l’allumer et dit :

On y est allé avec l’adjoint au maire. La porte était pas fermée. À l’intérieur, y avait plus personne. Mais y avait encore une assiette sur la table et un verre de vin à moitié plein. Y avait comme une odeur d’algues pourries, si vous voyez ce que je veux dire. On a fouillé partout, jusque dans cette chambre de cinglé.

Et il n’y avait personne.

Le vieux eut un petit rire flûté.

Ben si ! Mon gars. Y avait un chat.

Qu’est-ce qui foutait là-dedans le greffier ? intervint le patron en faisant un bruit incongru avec sa bouche. Ça ! On se demande vu que le capitaine, il a jamais eu de chat et que…

Que la porte de c’te pièce était bouclée, confirma le vieux avant de s’acheminait vers la sortie. Il s’arrêta, comme à regret avant de poser la main sur la poignée. Attendez un peu, dit-il en brandissant son index jauni de nicotine. Y a un détail qui me revient. Pour ce que ça vaut.

Allez-y toujours.

Parterre, y avait une paire de bottines, comme celles que portait votre oncle.

Là-dessus le bonhomme s’éclipsa sans plus de cérémonies.

Damien en avait assez entendu. Il reprit le chemin de la maison d’un pas cotonneux. Il faisait presque sombre quand il arriva. Sans allumer la lumière, il se rendit directement au centre de la maison.

C’était une pièce en forme de triangle équilatéral, éclairée par un puits de lumière. Des murs blancs et pour tout meuble, un simple tabouret placé au centre. Au mur, quelqu’un avait épinglé la photo d’une jeune métis. Maora ?

Damien arracha la photo. Au dos était griffonné une sorte d’incantation ; dans un dialecte inconnu. Il s’assit sur le tabouret, l’esprit vide, comme après une grande frayeur.

Au bout d’un laps de temps plus qu’incertain, Damien sortit de sa rêverie. Un rayon de lune tombait à travers le puits de lumière, éclairant la photo. Il sursauta. La photo de Marjorie ? Mais c’est quoi cette merde ? Mais non. La pénombre produit parfois des illusions insensées. Il ne s’agissait que de la jeune métis.

Sans trop savoir pourquoi, Damien se déchaussa et commença à lire l’incantation à haute voix.

Tout d’abord, rien ne se passa. Puis, il y eut un feulement et la bizarre sensation d’un chat qui se frotte contre les mollets de son maître.

Tu viens de prendre un billet pour le territoire de l’inquiétude, pensa Damien avant de s’anéantir dans…

 

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Commentaires
J
Ah trop bien ! Entre Fred Vargas et Maupassant, avec l’humour et la désinvolture en plus, on est en excellente compagnie !
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M
Un récit haletant !!! Un homme averti en vaudou !!! Bien vu le baron samedidéfi !!! :-)
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V
un récit à la Boris vian poétique et énigmatique à souhait!!
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K
tu as raison
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K
tu t'égares ?? pas sûr <br /> <br /> <br /> <br /> mais une histoire d'amour peut se terminer aussi involontairement de la part d'un des deux protagonistes ( lire mon histoire) l'un aimait l'autre pas
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M
Très agréable à lire. Bravo. Et n'en déplaise aux inoxydables optimistes, cela confirme bien que les histoires d'amour finissent mal mais quand elle ne sont pas finies...
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N
Bon, comme je déteste la Suze (beurk !), je cède ma part à KatyL ! <br /> <br /> Sinon, comme bongopinot (tiens, là, y a du Pinot, c'est déjà beaucoup mieux :P), je manque cruellement de suite dans les idées, donc j'attends que tu nous racontes la fin une autre fois.<br /> <br /> Sinon, c'est prenant, captivant, et on lit sans se déconcentrer un instant (même si j'ai failli perdre le fil à cause de ce "avant de s'acheminait"...:D)
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W
Mais qu'est-che que ch'est que chat ?
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P
C'est trés prenant; ha, si les chats pouvaient parler...
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B
oups encore une erreur d'orthographe DSL snif ...
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B
Chouette je vais passer une excellente fin de journée grasse à toi ! Et ! Tra La! La! <br /> <br /> <br /> <br /> De savoir cela<br /> <br /> <br /> <br /> Merci travail bien ! ;-)
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B
Et bien moi je suis un peu triste j'ai tourné les pages de mon "ordi" mais pas de suite elle s'est comme volatilisée et n'ayant aucune imagination je clame haut et fort...<br /> <br /> JE VEUX LA SUITE <br /> <br /> enfin si c'est pas trop demandé et si ça ne dérange pas trop bien-sure un autre jour à un prochain défi S.V.P.<br /> <br /> <br /> <br /> Un énorme Bravo Enluméria
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E
Apparemment, personne n'a vu l'allusion au roman de H.P. Lovecraft " L'affaire Charles Dexter Ward ".
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J
Très bizarre de nommer sa gamelle de croquettes "Damien". ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Et tout comme je suis en train de regarder la série "Dexter" pour la première fois, impossible de séparer de ton texte, je sens que ça va saigner !
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C
Tu as le don pour planter un décor et une ambiance...un vrai don d'écrivain.<br /> <br /> Chapeau...enfin beret( de marin à pompon)<br /> <br /> :-D
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E
Si à la place de "puits de lumière", on lit "flamande", ça fait tout de suite moins peur. Un peu comme quand on supprime le son d'un film à sensations... <br /> <br /> <br /> <br /> Ici ou là, de jolies petites perles. Et le chat, c'est Sha Mi Sha ?
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F
Je me joins à la tournée, et en plus, je réclame la suite !!
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V
Impossible de décrocher du récit... tout y est: l'oncle d'Amérique, la disparition, le chat et son mystère. Comme dit katyL, on va reprendre une tournée de Suze!
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K
c'est ça le chat m'a emporté loin loin.......d'ailleurs sur mon ordi que du sable !!!
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K
tout d'abord Enluméria ton récit est haletant !! mais où cela va -t-il nous mener ??<br /> <br /> je reprendrais bien une Suze ! j'adore cet apéro<br /> <br /> ensuite Maitre du suspens tu as laissé le champ libre à la fin à notre imaginaire<br /> <br /> chat alors ! mon chat vient de me frôler la jambe !!cela me fait tout d...............;;;;;;;;;;;;;;.....................
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