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Le défi du samedi
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3 mai 2014

Aparté (Caro_Carito)

Il lui reste une heure. Excepté sa Fender fétiche, toutes ses guitares ainsi que son costume de scène doivent déjà se trouver dans sa loge. La balance est au cordeau depuis le début de l’après-midi. Il a déjà sifflé son litre de Benriach 19 ans d’âge, le seul assez efficace pour évacuer le stress à venir de la scène ; l’autre litre lui est camouflé dans une banale bouteille derrière son ampli et lui fera tenir les heures de concert, les sauts, les déhanchés, les solos qui n’en finissent jamais. Et pas que la gnôle d’ailleurs, mais ça… cela appartiendra à la légende.
Oui, Barbara, sa fidèle assistante et ex-p.. de femme a sûrement assuré comme d’habitude. Leur divorce lui avait coûté une baraque et la moitié d’une île. Une Harley aussi. Mais il y avait gagné la paix et une partenaire à toute épreuve.
Oui, la paix. Un coup d’œil dans le salon aux murs ornés de fusils, de disques d’or, d’une tête d’orignal empaillé. Il y aussi un bar chargé de fûts de bière, de bouteilles vides, de restes de fêtes et un immense canapé en cuir usé par la ribambelle de pin-up carrossées qu’il a culbutées, seule ou en compagnie.
Il s’enfonce dans le vieux fauteuil, celui qu’il n’a jamais remplacé depuis plus de quarante ans. Il est 17 h 30, aucune chance que qui que ce soit ne s’aventure à le déranger. Il attrape la télécommande de sa chaîne dernier cri et fait taire les feulements de guitare. Soudain, il n’entend plus que les crépitements du feu. Il se lève, sort de sa pochette un vieux vinyle et retourne s’asseoir pendant que les premières notes de l’album se saisissent de chaque parcelle de la vaste maison. Un son friable, au toucher délicat, fragile. Il ferme les yeux.
Cinq minutes et neuf secondes, solitaires, honteuses, jouissives. Un concerto italien de Bach, inoubliable, inavouable, qu’il savoure les yeux fermés, juste avant que Jasper, leur chauffeur, passe le prendre à 174h5. Cinq minutes neuf secondes d’un plaisir interdit, tatoué plus sûrement sur son corps que les dessins qui ornent ses bras et son torse.
Il a rangé le disque, l’a dissimulé dans une fente que seul lui connaît, caché la platine. Il soulève sa carcasse sanglée de cuir. Il sent l’alcool qui lentement lui donnera l’envie de bouger, courir, faire hurler ces mélodies qui résonneront dans les corps de la foule massée devant eux. Il sait aussi que, quand il entamera un de ses solos, chaque note de Bach se faufilera dans ses riffs, prolongeant la mélodie plus loin que le succès, l’orgueil, l’argent ou la drogue ne le feront jamais.

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Commentaires
M
Etonnant contraste entre ce rocker alcoolisé " et "pin-upé" à la carcasse sanglée de cuir" et Bach au "son friable, au toucher délicat, fragile" !!! Tu as su très habilement les rapprocher ! Belle démonstration ! Bravo à toi Caro ! Ravie de te retrouver parmi nous !
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J
En somme si j'ai bien tout mal compris, pour les historiens du futur le rock est à mettre dans les Bach-annales ?<br /> <br /> <br /> <br /> https://www.youtube.com/watch?v=dW-vhSEaV2E<br /> <br /> <br /> <br /> OK, je sors !
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W
J'ai jamais eu besoin d'un litre de pur malt 19 ans d'âge pour affronter le concerto italien de Bach (BWV 971). Il est vrai que je ne suis pas un rocker non plus :-)
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N
Quand la musique est bonne... Elle apporte bien plus que n'importe quelle drogue, en effet. C'est indescriptible, au fond...
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V
le choc des mots , les contradictions du personnage trés fort ce texte
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V
le choc des mots , les contradictions du personnage trés fort ce texte
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L
Quelle émouvante histoire, bien ressentie, et présentée dans un style dont la progression nous mène à ce guitariste éreinté, avili, qui a tout et trop connu. La parcelle d'humanité qui lui reste tient dans ce seul disque de Bach. Mgnifique, Caro Carito!
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D
Ben à son époque, Bach était aussi un peu une rock-star, non ?<br /> <br /> Alors pourquoi ne pas revenir aux sources en sirotant un petit whisky, avant d'aller aligner les riffs sur scène :-D<br /> <br /> Très bien retracée cette instant de détente.
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B
Bach Rock ou les deux !<br /> <br /> <br /> <br /> moi peu m'importe tant que la musique inondera mes matins <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai bien aimé ce texte touchant et émouvant comme ce rocker
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E
Tout n'est jamais perdu. Dans une autre vie, j'ai officié dans diverses formation de Jazz-Rock ou de Rock progressif. J'ai toujours ma guitare électrique pour taper un bon vieux blues au détour d'une soirée, mais cela ne m'empêche pas d'explorer Bach et aussi la musique pour luth de la Renaissance sur ma guitare classique. L'un n'empêche pas l'autre. Comme disait mon prof de guitare : " Il n'y a pas de mauvaise musique. Il n'y a que de mauvais musiciens." 8-)
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K
oui c'est à la fois triste pour le rocker mais en même temps s'il écoute encore du Bach tout n'est pas perdu ....un jour peut-être sa guitare s'enflammera t-elle à nouveau ?? un ancien volcan qu'on croyait trop vieux !!<br /> <br /> kisssous
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V
Un contraste saisissant que ce rocker passionné de Bach! <br /> <br /> Il y a longtemps, j'avais une Fender Precision Bass... mais je boudais Bach :(
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Z
du baroque au 'haut) rock il n'y a qu'un pas <br /> <br /> ton final est presque un choc jubilatoire
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C
Sublime, ta ballade triste du rocker qui se réfugie dans l'alcool et la musique pour oublier la vanité d'une existence pourtant si belle au son d'un concerto brandebourgeois ...<br /> <br /> Un drame se joue en Bach stage en quelque sorte...
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E
Ce qu'il y a de bien avec Bach, c'est qu'on est rarement déçu...<br /> <br /> Dommage qu'il ne fasse plus de tournée et qu'il n'ait pas enregistré beaucoup de concerts en live.... ;)
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