Participation de Mamido
Maman a toujours su ce qui ferait plaisir à ses enfants.
A la maison, l’argent n’emplissait pas les coffres et pourtant nous n’avons jamais manqué du nécessaire. Pour le superflu, c’était un peu plus compliqué, mais malgré tout, mes parents savaient accomplir des miracles.
Ils emplissaient chaque jour la maison de rires et de chansons. Maman savait ajuster ses pas de danse aux refrains qu’égrenait le violon de mon père, n’hésitant pas à nous entrainer, mon frère et moi, dans cette joyeuse sarabande.
Et il ne faut pas oublier les cadeaux précieux fabriqués de leurs mains habiles.
Tous les jouets de notre enfance : voitures et camions, jeu de quilles et cheval de bois, dominos et échiquiers, poupées et doudous… sculptés et usinés dans l’atelier de mon père, cousus, brodés ou tricotés par les doigts de fée de ma mère.
Je me souviens du dernier Noël que celle-ci passa à nos côtés. Elle était déjà affaiblie par la maladie et je ne sais par quel tour de magie elle fabriqua ses cadeaux sans qu’on s’en aperçoive. Sans doute prit-elle sur le temps où nous étions en classe, sur celui où nous dormions également, ajoutant la fatigue à la maladie, usant ses dernières forces pour voir, une dernière fois, le plaisir briller dans nos yeux. Je ne doute pas que mon père fut son complice, comme toujours. Il l’avait toujours été, il n’y avait aucune raison pour que ça ne dure pas, jusqu’au bout.
A moi, elle offrit une magnifique couverture faite de mille et un patchworks. Elle l’avait cousue de tous les tissus qui avaient peuplés mon enfance. Celui de ma première brassière, ceux de mes robes préférées, ceux des différents rideaux qui avaient orné ma chambre, ceux de ses robes à elles, ceux des chemises de mon père, de ses pantalons de velours, de ses salopettes de travail… Elle les avait assemblés avec art, harmonisant les couleurs pour en faire un régal pour mes yeux, un trésor sous mes doigts, un chef d’œuvre éternel de chaleur et de tendresse.
Lorsqu’à son tour, mon frère déballa son paquet, il découvrit ce dont il rêvait depuis deux ans au moins, depuis surtout qu’il avait acheté à la foire de la St André ce livre d’occasion expliquant quelques tours de magie.
Un costume de magicien composé d’une cape et d’un chapeau, dont la soie bleue nuit était parsemée d’oiseaux multicolores brodés au petit point et qui semblaient tout droit sortir du paradis.
Je reconnus le tissu d’un ancien dessus de lit et le chapeau de mariage de mon père.
Mais pas mon frère, non, pas lui.
Il n’y vit qu’un habit qui allait, c’était certain, dès qu’il l’aurait revêtu, lui permettre de réussir les tours auxquels il s’entrainait depuis des mois et tous ceux qu’il apprendrait par la suite.
Il jura à ma mère ce jour-là, qu’il deviendrait le plus grand magicien de tous les temps. Ma mère sourit de ce sourire éclatant et mystérieux que nous aimions tant et assura que c’était ce qu’elle croyait du plus profond de son cœur.
Elle mourut quelques mois plus tard.
Trop tôt pour voir le chagrin anéantir mon père suffisamment pour qu’il enferme le violon dans son étui et ne le ressorte que douze ans plus tard, au mariage de sa fille.
Trop tôt pour voir mon frère devenir le magicien renommé qu’il est aujourd’hui, partout réclamé dans le monde pour ses tours féériques. Par quelle magie porte-t-il toujours la cape et le chapeau que maman lui avait fabriqué pour ses dix ans ? Ceux-ci semblent avoir grandi avec lui et le temps n’a en rien terni l’éclatante soie bleue et le chatoyant plumage des oiseaux qui paraissent prêts à s’envoler.
Trop tôt, enfin, pour voir sa couverture étalée sur mon lit d’épouse comblée où, soir après soir, ses petits-enfants, joyeux et chahuteurs, viennent réclamer leur lot de chaleur et de tendresse.
Rive de Gier, le 30 Mars 2014