Maéva (Célestine)
Tu es petite, je suis grande. Tu possèdes les yeux sombres d’une fille d’Espagne, j’ai le regard clair de mes lointains ancêtres des landes de Galway.
Tu n’as pas encore d’enfants, moi j’en ai trois, dont un fils de ton âge. Tu commences ta carrière et j'entrevois au loin le fanion à damier.
Et pourtant, Maéva, qu’est-ce qu’on se ressemble ! Comme je retrouve en toi les fougues et les impatiences de mes débuts ! Comme je sens bouillonner dans tes paroles les mêmes convictions, les mêmes enthousiasmes qui m’animent encore au bout de trente ans. Le même goût du travail bien fait.
Comme j’ai envie de te dire, à l’instar de Gabin dans « un singe en hiver », s’adressant à un Belmondo ténébreux et flamboyant « Tiens, t’es mes vingt ans ! »
Peu à peu, j’ai découvert que nous étions en phase : même humour, même amour de la langue française, même goût des bonnes choses et des plaisirs de la vie. Tu es aimée par tes élèves. Je le vois bien.
Et puis, aujourd’hui, je t’ai vu pleurer, déstabilisée par un de ces malandrins de l’administration, un de ces ronds-de-cuir pisse-vinaigre qui se croient autorisés à démonter les jeunes collègues en leur imposant leur point de vue étriqué de « bureaugrattes » et en les décourageant du haut de leur fausse autorité.
Mais que savent-ils du plaisir, du bonheur d’enseigner ? Ne t’inquiète pas : leurs pinaillages de psychopathes flexionnels sont peanuts. Ce n’est que l’écume de leur bave devant ton talent naturel. Moi je sais que tu ne te décourageras pas. Que tu seras une institutrice exceptionnelle. Une de celles qu’un enfant n’oublie jamais.
Aujourd’hui, j’ai compris que dans mon école, tu étais, malgré les apparences, celle qui me ressemble le plus.