Histoire pour enfants sages (Prudence Petitpas)
« Qu’est-ce qu’un enfant sage ? Cela existe-il ? N’est-ce pas le propre de l’enfant de faire des bêtises ? Si l’enfant sage comme une image passe les années sans lever le petit pouce sur une ânerie quelconque, n’est-ce pas un enfant formaté par le monde des grands… dommage pour lui et pour son entourage, parce qu’en grandissant cette lacune risque de lui couter sa vie d’adulte… ».
Ce discours devenait pour moi de plus en plus lointain, et confortablement installée dans mon strapontin, mon esprit avait quitté la salle pour se retrouver des années lumières en arrière… on aurait pu m’appeler Sophie, l’héroïne de cette chère comtesse, tant mon imagination débordait de sottises en tout genre. Comme elle, j’avais le gout de la justice très développée, et n’avais pas compris, pourquoi j’étais née toute frisée, avec des cheveux crépus noirs, alors que ma voisine de classe avait une chevelure de Barbie et jouait constamment avec ses mèches blondes. Il m’avait fallu quelques secondes seulement, pour lui couper cette queue de cheval qui me narguait depuis trop de temps le soir dans le dortoir des grands. J’avais tout juste six ans, et ce n’était ni la première, ni la dernière bêtise que je commettrais dans ma petite vie d’enfant. L’évasion de mon esprit continuait et c’est à peine si je captais le ronronnement de la conférencière… J’étais de nouveau propulsée dans le passé et me revoyais, tête baissée, l’air honteux que j’essayais de prendre devant papa qui me sermonnait sérieusement pour mon dernier forfait : Notre pauvre canari s’ennuyait dans sa cage et semblait pour moi bien terne avec sa couleur jaune et son air de ne jamais s’en faire, alors un jour, seule avec lui, j’entrepris de le peindre en fuchsia et sortis le matériel de mon cartable… un bon pinceau, un tube de peinture rose en main, j’ouvris la cage et attrapai la future victime. Après quelques couches bien étalées sur son plumage blond, je transformais petit à petit ce gentil serin en danseuse de franche-cancan. Il n’apprécia pas vraiment ce changement, mais rien n’arrêtait mon œuvre : j’allais faire de lui le premier canari rose… Bien absorbée par mon coloriage, je n’entendis pas arriver mon père qui me surprit en pleine action. La suite me laissa quelques traces sur mon postérieur, quelques larmes pour la forme, et la fureur de ne pas être comprise.
La conférencière terminait son exposé, les applaudissements fusaient et me sortirent de ma rêverie. Je frappais des mains par réflexe pas mécontente de voir la fin de cette soirée se rapprocher. Qu’étais-je venu écouter cette oratrice alors qu’une petite histoire de cochon qui portait des bottes rouges m’attendait sur mon ordinateur et me permettrait de parler des enfants sages bien mieux que Mme Bourcier dont on ne savait même pas si elle avait des enfants. Et quel étonnement tout de même de la voir quitter l’estrade attifée de bottes rouges en caoutchouc sur de longues jambes qui nous révélaient sa plastique personnelle… comme un certain petit cochon qui m’attendait sagement à la maison.