LES BOTTES (Lorraine)
L’ogre du petit Poucet avait de grandes et larges bottes de sept liues. Mais quand Poucet les enfila, comme elles étaient magiques, elles le chaussèrent exactement à sa taille et il put galoper vers son destin à son rythme. Nous, nous sommes des bottes roses beaucoup plus ordinaires. Quand c’est le moment de partir, nous allons d’un bon pas, bien cadencé. On se parle.
- On allons-nous, tu le sais, toi ?
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- Non, on ne m’a rien dit…
-
L’autre botte et moi sommes toujours de connivence. Si elle piétine, j’assure. Si je dérape, elle glisse. Si je chavire un peu, elle aussi. Nous essayons autant que possible d’être « la paire », nous nous sentons un peu jumelles et en tous cas, fort semblables.
C’est rare que nous sortions le matin. D’habitude, c’est surtout en soirée qu’on s’exhibe. Des soirées fréquentées où l’on rencontre d’autres bottes roses ; on fait la causette, debout devant un whisky, un pernod, un cocktail aux noms incendiaires, on trinque, on bavarde, on rit. On rit beaucoup, de plus en plus, le 2éme coktail nous met du cœur au ventre, et le 3ème, je ne vous dis pas… L’orchestre nous connaît. Il sait que nous aimons le slow, joue contre joue, le tango mais pas trop acrobatique quand même. Lever la jambe gainée d’une botte rose, se renverser en arrière en équilibre sur le talon pointu de l’autre, ce n’est pas évident.
Il m’arrive de me sentir serrée aux entournures, alors on s’assied dans un club bien profond, la lumière tamisée nous détend, nous poussons un soupir de soulagement, deux autres bottes roses viennent doucement se presser contre nous, caressantes, et nous écoutons ce qu’on nous dit :
- Mon chou, tu ne trouves pas qu’il fait une de ces chaleurs, ici ? Et puis tout ce monde…
- Oui, trésor, allez, je te suis.
On soulève la tenture rouge qui voile la porte. L’air frais nous surprend. Nous ne sommes plus que quatre petites bottes roses qui trottinent dans la nuit.
Henri et Guillaume rentrent à la maison.