Suite pour EVP (Sergio)
Je m’étais levé tôt ce matin .Le soir j’avais préparé minutieusement mon matériel, ma canne Orvis (neuf pieds pour soie de cinq) mon moulinet favori, un Vivarelli une soie neuve et un bas de ligne tressé, ma casquette, quelques biscuits, un coca & mon gilet multipoches, jamais lavé contenant tout un tas de fils, boites à mouches, pinces, ciseaux etc. Tout un fourbi plus ou moins utile mais qui a valeur de talisman. Comme tous les pêcheurs, depuis des temps immémoriaux j’exécutais un rite immuable. Départ sous cycle lunaire, adoration matinale du soleil, sacralisation du matériel et port de gri-gri s’imposaient. Sans cela je ne serai pas accepté par la rivière & la pêche serait mauvaise.
J’aimais cet instant ou la nature se réveille ou la lumière revient & nous rassure. A ce moment précis j’étais entré dans la rivière. Dans ce calme paisible qui fait suite à des passages nerveux, chaotiques où les eaux se chahutent & se bousculent. Dans cette partie plane je faisais le héron, attendant dans une bienheureuse quiétude que l’ensemble m’accepte, non plus comme un pêcheur, un prédateur mais comme une pièce du puzzle & là dans la douce attente, dans le jour naissant j’étais immobile. J’avais toujours fait cela. Je pensais « je suis là depuis un million d’années » Cette pensée me rassurait.
Un craquement, faible mais incongrue en cet instant me fit tourner la tête vers la berge. Il était là. Dans sa tenue camouflage je n’aurai pu le voir. Des éclairs de dysharmonie troublèrent le lieu. Soudain j’eu peur. Personne ne m’avait entendu partir de la maison & je tenais ce lieu secret. Tant d’histoire circulaient sur le fils Borne, additionnées de nos affabulations. Il me sourit & passa son chemin. Je remarquai que lui aussi avait une canne-fouet et marchait avec des waders. Cela me rassura. Je pêchai calmement une partie de la matinée relâchant consciencieusement les belles imprudentes. Je les trouve plus belle dans le courant.
Vers dix heure je sorti de la rivière & me dirigeait vers une petite clairière où un rocher ombragé faisait une halte idéale. Sur de mon territoire j’arrivais sans le remarquer. Il était là, sur mon banc .Je m’arrêtais mais il me fit signe d’approcher, se leva et me tendant la main me dit « tu ne serais pas Sergio le fils d’Antone L… »J’étais sans voie& bafouillait un OUI haché & peu audible. Il se rassit m’invitant d’un geste à partager ce banc naturel si bien placé. Une longue minute silencieuse s’écoulât.
- OUI j’en étais sûr. tu ressembles à ton père, comme deux gouttes d’eau.
- Comme deux gouttes d’eau, on nous le dit souvent.
- Tu viens souvent ici ?
- Dès que je peux, le plus souvent possible. J’aime beaucoup cette vallée calme & oubliée.
- Ah, c’est drôle. J’étais comme toi, à ton âge mais nous pêchions au toc & nous avions un matériel plus rustique. Tu es bien équipé, dis donc ! et tu pêches à la mouche. C’est nouveau dans la vallée.
- Environ dix ou quinze ans, dès que les usines ont fermé et que la station d’épuration a été mise en service des truites ont été réinstallées & la communauté de communes a pris en charge le nettoyage des cours d’eau. C’est comme cela, avec l’école que j’ai participé à cette tache & ai découvert ces endroits puis la pêche à la mouche. Mon instituteur m’a refilé ce virus. Ma mère dit que je suis piqué. Et vous ?
- D’abord pas VOUS mais TU. Nous sommes presque voisins & même si l’ambiance n’est pas des plus amicales. Mais c’est un peu de ma faute, je suis renfermé et j’ai appris à être silencieux.
- Tout le monde se demande pourquoi vous OH pourquoi tu es revenu ?
- C’est une longue histoire. je suis simplement revenu pêcher chez moi. je ne fais plus que cela. Quand je pars, tu as du le remarquer, comme tous les autres …………………..je pêche. Je prends mon barda, quelques vivres, mon hamac & je remonte une rivière, une gorge seul pendant deux, trois, cinq jours, le temps nécessaire. Il faut peu de choses pour vivre. Le soir, un hamac, un bon livre, une frontale & sous la voie lactée j’ai les plus belles soirées du monde.
- Pensée « j’aimerai bien mais il faudra convaincre les parents … et ???
- Je suis surtout revenu à cause d’un gamin, comme toi, même âge mais plus frêle que j’ai croisé par hasard.
C’était il y a six ans dans une très belle vallée, la vallée d’Uzbin en Afghanistan. Une belle vallée comme tu aimerais, sauvage, éloignée dans les montagnes, oubliée avec une belle rivière claire & tempétueuse qui serpente dans des gorges magnifiques. Quelques habitants, quelques hameaux ou vivent des paysans. Le tout surplombé par des montagnes gigantesques, rocheuses, poussiéreuses, écrasées de soleil ou de froid. Mais dans cette vallée s’était invitée la folie des hommes & avec elle la barbarie & la mort.
Nous étions cette fin d’après-midi au bout de la piste empruntable par nos VAB, juste après un petit village ocre gris écrasé de lumière que l’on aurait jugé désert. Là, seul au bord de la piste étroite & enclavée j’ai vu un gamin pied nu qui me souriait. Il tenait dans ses mains un drôle de petit théâtre de marionnette qu’il avait dû fabriquer. Dans ce théâtre de poche, un décor sinistre fait d’arbustes gris, figés, pétrifiés. Ce garçon, seul être vivant que nous avions rencontré me souriait et ses yeux gris bleu s’illuminaient. Je lui rendis son sourire & lui fit un salut amical. Il détala à toutes jambes.
Toute la nuit, jouant au chat & à la souris, après une marche éprouvante nous étions arrivés près d’un groupe de masures couleur muraille que des drones espion avaient identifié comme étant un poste de commandement & un dépôt de munition de talibans. Nous étions huit en position, deux guetteurs excentrés, deux en appuis, tireur d’élite et arme lourde d’appuis équipée d’un M16 beowulf échangé à des ricains contre une demi palette de Viognier Gangloff 2006 comme quoi même les ricains ont de vrais valeurs (dans un accrochage le beowulf tire du calibre 50 BMG anglais, autrement dit du 12.7x99 mm Même un fanatique baisse la tête et tente d’entrer dans le boitier de sa montre.) Et enfin deux binômes chargés de la pose au plus près des désignateurs laser. Ces sources qui n’opèrent pas dans le spectre visible pour l’homme illuminent la cible pour un missile de type AS 30. La pose effectuée, j’étais en poste à environ cinq cent metres et envoyait le signal codé. Dans ma lunette je vis la porte d’entrée de la ferme fortifiée et qu’elle ne fut ma stupeur quand je vis le petit garçon sur le pas de porte comme me regardant de son regard enfantin. Il n’était pas possible qu’il m’est vu, aussi loin et enterré mais ce fut l’impression troublante que je ressenti, d’autant qu’il regardait vers le soleil levant. Il ne vit ni n’entendit le missile largué par un avion une dizaine de kilomètres avant .Celui-ci se ruait vers sa cible, croisant à trente metres du sol à une vitesse de quatre cent cinquante metres par seconde. Il était plus rapide que le son. De fait on ne pouvait l’entendre arriver. Au moment le plus beau de la journée dans ce petit jour naissant, dans cette lumière pure, dans ce calme absolu du petit matin une boule de feu accompagné d’un hurlement cataclysmique déchira, en un instant la petite vallée. Une minute après il ne restait plus rien qu’un amas dévasté & fumant .le petit garçon n’était plus. Son image était restée imprimée sur mes rétines. J’envoyais le signal crypté de la mission réussie. Nous restâmes toute la journée enterré dans nos trous individuels, que nous avions pris soin de creuser la nuit précédente, silencieux, écrasés par le soleil. Toute la journée je vis ce petit garçon. Nous nous repliâmes de nuit.
De retour le lendemain, je me présentais au commandant de compagnie, posait mon FAMAS, mes grades et ma plaquette d’identification et lui dit sans commentaires que, jamais je ne retournerai au combat. Apres une tentative que je n’écoutais pas je fus mis aux arrêts, puis transféré dans un hôpital ou des psys bavards déclarèrent doctement que j’étais victime d’un BURN-OUT. Je ne leur parlais pas du garçonnet avec son petit théâtre d’enfant. Que peuvent comprendre des militaires à cela .Je fus démobilisés au vue de mes états de service & pensionnés. J’ai mis six années à revenir, à pouvoir regarder un enfant et à pouvoir supporter le bruit d’une cour d’école.
Tu es le premier à qui je reparle.