Participation de JAK
Un pigeon par amour pigeonné
Je suis un pigeon casanier, moi Biset perché haut, sur le clocher de ce village moyenâgeux au fin fond des Cévennes dans un petit trou perdu.
Là, dessous, dans la cour de l’école, les gamins jouent à Pigeon Vole. Ainsi, mes sombres pensées s’envolent.
Je coule céans une existence fadasse depuis que je suis devenu casanier.
Je n’ai même plus de colombier pour me ressourcer avec mes compères, comme je le faisais au retour de mes péripéties. Non, ici je vis en catimini tout près des cloches qui perturbent ma sieste, carillonnant toutes les heures, du lever au coucher du soleil.
Pourtant j’en ai vécu de grandes aventures, mais une belle Colombe m’a pigeonné et depuis je vis presque reclus, enchaîné par l’amour.
J’avais hérité du don de mon aïeul qui travaillait pour Charles Havas, et n’avait pas son pareil pour remplacer le facteur. Chargé d’une mission, il trouvait illico sa destination grâce à une technique génétiquement ancestrale, imparable : le sens d’orientation. Et comme lui, je partais au loin.
Je me remémore, accroché à mon clocher….
Il y a 5 ou 6 ans, jeunet, j’allais et venais sous tous les vents.
J’en ai parcouru alors des mers et des continents, survolé des montagnes
En Russie, j’ai connu le Sotchi d’avant. J’y ai « jeu-té » un œil, indifférent alors, aux palmiers sur fond de montagnes
Dans l’IOWA, je me suis fait de Joyeux copains, on s’écrit par la voie des Mels.
En Chine, j’ai volé à tire d’ailes, car en ce pays les pigeons voyageurs sont souvent kidnappés en vue de leur faire pratiquer des courses d’endurance, avec paris à la clé. Alors, perdue la liberté !
Je me souviens, en Indes, dans un monastère, des moines [qui protègent notre race depuis qu’un des nôtres chercha refuge dans l’ombre de Bouddha.], nous servirent en abondance des grains pour notre route. Mais au premier coup de gong il fallut repartir et les laisser à leur méditation.
En Egypte, notre patrie d’origine, un compagnon de route m’avait dit de ne point m’y attarder, il avait danger : Là, certains mamelouks gavaient les pigeons, et couic plus personne sur le chemin du retour ! Mais n’exagérait-il pas, un peu chauvin, car il était de la branche des pigeons Nègre à Crinière !
J’ai failli mille fois m’égarer de ma voie. Eole furieux soufflait dans tous les sens et changeait souvent la Route des Vents. Aucun carrefour, ni sens giratoire pour indiquer la direction dans la tourmente.
Aujourd’hui mes pigeonneaux sont équipés d’un GPS et cela les aide bien, mais je crains qu’ils ne deviennent de vrais Ramiers, et que leurs neurones « spéciaux orientation » soient définitivement inactifs, tout comme la calculette a annihilé la pratique du calcul mental chez certains écoliers...
Je ne manquerais pas de vous dire aussi, que j’ai un cousin à Paris nous entretenons des relations épistolaires ; mais il est un peu fier d’habiter la capitale
Sa spécialité est de fienter sur les toits de Notre- Dame, ou sur les belles avenues .C’est un Mondain, de vieille souche française.
Lorsqu’il prend ses vacances, 15 jours par an, il descend dans mon trou isolé, au bout du monde, pour se refaire une santé, -c’est ce qu’il dit-.
Bien sur, ici, pas de pollution urbaine, rien que du bon air, et alors, nuit et jour il roucoule. Ça le change du bruit des klaxons.
Ce qui lui déplait cependant par chez nous, c’est que dans un champ, à proximité, on y tire des Pigeons d’Argile, alors là, il prend son air de Mondain offusqué. Mais moi je ris dans ma collerette, car à Paris c’est bien pire, tous ces pigeons qu’on bague et à qui on demande des comptes, leur indépendance où est elle?
Mais, vous interrogez-vous, encore jeune, ou presque, et à la retraite ? Plus de vols aux longs cours ?
Et bien oui je me la coule douce.
Comme je vous l’ai déjà exposé, j’ai rencontré ma belle Colombe un jour d’escale, (je devais être encore dans mes nuages), elle m’a promis la paix et l’amour, et je l’ai cru !
Au premier coup d’œil elle m’a plu, avec sa belle gorge de pigeon, coiffée avec grâce en « aile de pigeon » (une descendante des pigeonnes de Louis XV) .
A notre union, cependant, elle a mis une clause : elle exigeait que je ne m’envole plus loin de ses yeux, et je n’ai pu résister quand elle m’a roucoulé :
- c’est ainsi Mon Petit Pigeon !
Je lui suis toujours fidèle. Et le sens de la fidélité dans notre famille, on l’a depuis des siècles, même qu’un certain La Fontaine l’a immortalisé dans un livre :
Deux Pigeons S’aimaient D’amour Tendre.
Et c’est ainsi que depuis, de voyageur, je suis devenu sédentaire.
Ce qui me console, c’est que vu mon âge, je ne finirai sûrement pas dans une assiette avec des petits pois !
PS : Ah, j’oubliais, aujourd’hui 14 février ma Colombine m’envoie, (de son voyage en Russie, où elle a été préposée d’office à la flamme des JO),
Un message crypté :
J’en batifole d’aise !
Jakolombophile pour Défi #285 14 02 2014