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Le défi du samedi
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8 février 2014

Carrefour giratoire (Sergio)

Il était 17 h45 ce soir d’hiver

PIOTR fonçait perché dans la cabine toute neuve de son SCANIA V8 730 CH. Il n’en revenait  pas de conduire un tel camion. Lui, le petit enfant de la campagne bulgare il revoyait son père Pavel, le pêcheur qui revenait juché debout sur son char attelé à un bœuf  une fois sa journée terminée à Artchar, son village de naissance .Il le voyait arrivé, son père était un géant indestructible. Maintenant il était mort, terrassé par le « crabe »héritage des cigarettes « Belomorkanal » spaciba URSS. Maintenant, c’était lui qui était le chef de famille  mais lui arpentait les routes d’Europe, loin de chez lui sur son char moderne. Ce soir, insouciant dans sa nouvelle cabine confortable, climatisée et insonorisée il roulait vite, trop vite vers ce giratoire. Roulant vers l’ouest le soleil couchant l’éblouissait mais il était ailleurs perdu dans sa solitude et sa nostalgie.

Il était 17h45 ce soir d’hiver.

Marcel, pied au plancher dans sa vieille camionnette de chantier rentrait chez lui après un après-midi bien arrosé. Il faisait froid ce jour-là et il n’avait pu avec son équipe couler la dalle de compression du plancher du premier niveau .Le chantier était encore ouvert à tous les vents. Avec cette bise polaire déferlant du nord et des températures négatives le coulage  était impossible techniquement. Ils auraient coulé mais le contrôleur technique avait mis son véto. Le froid et la météo n’avaient pas de prise sur eux. C’était leur fierté d’homme, la seule peut être mais ils s’y accrochaient. Attitude incompréhensible pour l’architecte parisien qui les saluait à peine, du bout des lèvres et qui serait furieux lors du prochain rendez-vous de chantier .Il avait donc invité toute son équipe au routier du coin pour arroser la petite fille de Jésus son chef d’équipe .Arrosée, le terme  le plus indiqué serait plutôt inondée. Mais bon, Marcel rentrait chez la « baronne »et bien que le soleil lui fasse de l’œil, il avait bien vu  le camion flambant neuf qui fonçait sur la route venant de droite. Mais, foi de Marcel ce n’est pas ce cochon d’étranger de l’est avec son camion rouge qui allait l’impressionner. Ah non pas lui, pas Marcel !!!!!

 Il était 17h45 ce soir d’hiver

Marie rentrait chez elle, après sa journée de travail au supermarché du sud. Elle était caissière, non ! hôtesse de caisse maintenant, dixit le nouveau DRH. Son salaire n’avait pas évolué depuis.  Son compagnon, amateur de western italien déclamait l’air sérieux, singeant Clint Eastwood «Tu sais Marie, dans la vie il y a deux catégories de personnes. Ceux qui ont un costume gris de premier de la classe et ceux qui rament. Eh bien toi Marie tu rames !!!! »Ils éclataient de rire et le soir, heureux ils se repassaient le film. Elle avait récupéré chez la nounou en plus de son trésor, son petit Jules tout blondinet, les deux jumelles de sa sœur. Ces deux pestes se chamaillaient et tentaient de se tirer les couettes bien que, séparées par le siège auto de P’ti Jules. La route était glissante. Elle savait que dans ces plaines balayées par la bise les sols se couvraient de verglas. Avec ses pneus lisses, qu’elle n’avait  pu changer le mois passé elle se dépêchait de rentrer. Elle se retourna, exaspérée par les cris stridents des deux chipies.

Il était 17h45 ce soir d’hiver

Daoud roulait tranquillement, plein sud direction Marseille puis la Tunisie .L’hiver il rentrait chez lui cumulant tous ses congés, récup, RTT. Il détestait le froid humide qui te transperce. Vivement le soleil de Tozeur, la porte du désert et la lumière éclatante, éblouissante, assourdissante du Chott-el-Djérid. Daoud roulait prudemment. Il n’était pas pressé et le chargement sur la galerie invitait à la prudence. Tout le monde lui disait « tu pars au bled Daoud ? » «  EH comment t’as deviné ? » « j’sais pas, la galerie…… » Et là ,ils éclataient de rire. Il emmenait des cadeaux pour la famille plus des produits introuvables qu’il revendrait  et puis toutes les commandes spécifiques ;un pot d’échappement de Renault 12.un tambour de machine à laver de tel modèle, même deux pneus neige 175-55-R17 pour son cousin Djalil .La commande l‘avait surpris mais il avait promis. Peut-être que  Djalil anticipait la prochaine glaciation ?? Inch Allah !!

Il était 17h45 ce soir d’hiver

Un troupeau de chevreuils après s’été gavés de mais dans un champ bizarrement oublié empruntait la cinquième route menant au nouveau rond-point. Les animaux, non informés par les services de la DRIRE n’avaient pas  encore intégré la nouvelle géographie urbaine qui grignotait leur territoire. Ils s’engageaient donc pensant trouver le petit bosquet de boulots qui leur avait souvent servi de refuge. Ils se retrouvèrent désorientés et apeurés avec quatre monstres hurlants qui se précipitaient vers eux, les  aveuglant de leurs énormes yeux jaunes..

Il était 17h45 ce soir d’hiver

Fort heureusement Daoud qui bien que peu pressé, arriva exactement douze secondes avant Marie qui conduisait bizarrement en regardant vers l’arrière. Fort heureusement le chargement africain de Daoud mal arrimé perdit les deux pneus de Djalil qui allèrent percuter le flanc gauche de la voiture de Marie. Dans un réflexe idiot, mais salvateur elle donna un coup de volant vers la gauche .Elle finit sa course, hébétée, sa voiture  enlisée dans un champ de betteraves fraichement retourné. Heureusement Marcel dans un rêve éthylique  cru voir, lui sur sa droite un troupeau de rennes et même le Père Noel sur son traineau. Il freina doucement, silencieusement pour admirer avec ses yeux d’enfant ce spectacle quasi miraculeux. Heureusement le camion scandinave de PIOTR équipé d’ESP, bardé de technologie de contrôle anti ……etc. détecta à temps le verglas, ralentit en douceur le mastodonte avant le nouveau giratoire. Il vit donc Daoud perdre son chargement et Marie foncer dans le champ. Il vit, aussi Marcel les yeux exorbités, le regard tendu vers le troupeau de chevreuils qui s’enfuyait à toutes jambes,  passer son chemin,  perdu  dans ses rêves d’alcooliques. Daoud et Piotr aidèrent Marie à sortit de son bourbier. Elle les invita à diner .Elle leur devait bien cela.

Tout fini bien mais !

ser03

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Commentaires
S
Ouch j'ai cru que ça se finirait mal!<br /> <br /> Quel talent pour le suspens Sergio!
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K
ouf!!!! on respire tout est bien qui finit bien .......<br /> <br /> mais combien d'autres à côté ne sont pas arrivés à bon port ???<br /> <br /> bravo tu sais créer le suspens<br /> <br /> amtiiés
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P
Comme les autres, j'ai failli t'en vouloir de me plonger dans ce bourbier de vies inachevées... ouf, rattrapé de justesse je t'adore pour la fin que tu nous offres...
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J
La catastrophe et le champ de betterave partis (tchikipoum tchikipoum tchikipoum) on se sent tout de suite mieux. Tu sais formidablement nous emmener sur des routes où les vies sont bien cabossées. Bravo !
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E
Joli tissage de destins !! Excellent :):)
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V
tout c'est possible va bien à cette écriture directe sans détour !!
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T
Un carrefour? Plutôt un haut champs
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M
OUF !!! Je me sens mieux !!!! D'excellentes descriptions et portraits de tous les protagonistes !!! Allez !!! Ça s'arrose !!! ;-)
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E
Pourquoi, alors qu'il n'en pousse que dans quelques régions de France, les voitures finissent-elles très souvent dans un champ de betteraves? ;)
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W
Fils de ta race ! Je m'étais déjà tout bien préparé à la fin aussi prévisible que celle d'une fugue de Bach. J'aime pas cette musique contemporaine... non mais ! :-)
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M
inattenduE, la happy end...
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C
Happy end pour ce suspense a la Lelouch. J'ai beaucoup aimé tes portraits finement ciselés, et tellement vrais. <br /> <br /> Et le rendez-vous manqué du gros Bang laisse quand même augurer une soirée sympathique entre trois des protagonistes ( enfin j'espère!)... Mais ceci est une autre histoire.
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M
Oui, moi aussi j'aime cette "happy end" inattendu après ce que semblait nous suggérer ce texte où peu à peu "s'accumoncelaient" tout le matériel propice à la catastrophe. Contente d'avoir vu que tu avais pu caser ta citation cinéphile préférée!!!
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F
Ouf !!! J'ai eu très très peur, pour la fin, et je préfère celle que tu écrite à celle qui semblait se profiler au départ !
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