Allo !!! T’es où ?? (Mamido)
Question entendue, il y a quelques années, sur une plage de Vendée.
D’un temps que les moins de vingt-cinq ans ont certes connu mais gardé peu de souvenirs. Un temps où le mobile était encore une denrée rare et chère, seulement utilisée par une élite de gens qui nous semblaient alors bien snobs (on ne disait pas encore « bling-bling »).
La dame est allongée sur le sable, plus exactement sur une serviette marquée en gros caractères GUCCI. Il faut dire que l’ensemble de ses vêtements et des accessoires qui l’accompagnent est dédié à cette marque. Du sac de plage au maillot de bain, en passant par les lunettes de soleil. Celles-ci, pour l’instant servent de serre-tête à sa blonde chevelure au brushing impeccable dont, malgré la brise marine, pas un poil (pardon, un cheveu) ne bouge. La peau est douce et satinée, le bronzage uniforme, l’épilation et la manucure soignées.
Rien ne semble laissé au hasard. Pas un seul grain de sable pour venir déranger l’image qu’elle nous offre sauf peut-être ce mobile qu’elle tient près de l’oreille dont elle a soigneusement décroché le pendentif doré. Elle parle fort, comme si elle était seule sur la plage…
« - Allo !!! T’es où ??? »
Comme si sa conversation ne nous suffisait pas, elle nous fait partager les réponses de son interlocuteur en les répétant.
« - Sur une plage… En Vendée… Quelle coïncidence extraordinaire ! Moi aussi ! Mais où exactement ? »
…
« - A La Tranche sur mer ? Ah ça, c’est rigolo ! Moi aussi… Sur quelle plage, tu dis ? »
…
« - La plage du phare ! Tu viens surfer à la plage du phare ? Mais je suis sur la plage du phare !!! »
Là, affolement de la dame qui se redresse et commence à regarder autour d’elle.
Son regard nous traverse. Nous n’existons pas, nous somme transparents.
« - Tu dis que tu es sur la dune… Derrière le poste de secours ? Mais je suis juste au pied du poste de secours, légèrement à gauche ! »
La voix est montée d’un cran dans les aigus. Maintenant la dame est debout, dos à la mer. Elle scrute la dune comme si sa vie en dépendait.
« -Tu portes ta combi et ta planche est bleu nuit ?! Non, je ne te vois pas !... Et toi, est-ce que tu me vois ? Je suis debout, avec un maillot une pièce léopard… Toujours pas ?! Et si j’agite les bras ??? »
La voilà qui se transforme en sémaphore. Ses bras s’agitent dans tous les sens. Elle saute sur sa serviette, envahie maintenant par le sable. Adieu brushing impeccable. Une boucle blonde s’échappe de l’édifice savamment composé ce matin même par Michaël, le coiffeur en vogue, sur l’avenue de la plage. Elle se pose devant les yeux de la dame, pénètre dans sa bouche.
La dame la recrache en postillonnant :
« - Mais si, à gauche du poste de secours… Enfin, à droite pour toi… Juste à côté d’un groupe de personnes… Très nombreux… Avec un parasol multicolore, façon « gay pride»… »
Tiens, on n’est pas si invisible que ça, finalement. Voilà qu’on lui sert de balise !
Elle baisse la voix maintenant, elle nous jette un petit sourire gêné.
« - Oui ! C’est ça… Le troupeau bariolé, avec plein d’enfants et d’ados… »
Elle ne répète plus ce que dit son interlocuteur, se contente de deux ou trois « Mmm » puis d’un « A tout de suite ». Elle raccroche et range le mobile dans son sac.
Elle secoue sa serviette, rajuste son brushing, lisse son maillot autour de son corps parfait et se rassoit. Son visage a repris son masque d’impassibilité. Masque avec lequel elle accueille quelques minutes plus tard son ami. Le haut de la combi de celui-ci est baissé sur ses hanches et permet d’admirer un torse glabre et bodybuildé. La brillance laquée de sa planche, sans une éraflure, pourrait faire croire que celle-ci n’a jamais servi.
Dès son arrivée le bellâtre plante sa planche devant ma serviette, me cachant le paysage de l’océan et m’empêchant de surveiller les plus petits dans l’eau. Ma contestation se perd dans le vent. Pour ces deux-là qui papotent, nous sommes redevenus transparents, inexistants… L’homme évacue mes protestations d’un signe agacé de la main comme s’il chassait une mouche importune.
Mais c’est compter sans la force de notre groupe qui, l’air de rien déplace les sacs, les serviettes, les parasols et peu à peu annexe la planche, la faisant sienne, s’en servant comme bannière pour notre linge qui sèche.
… Et obligeant notre surfeur à venir quémander son bien quelques temps plus tard.
« Ah, c’est à vous cet engin ! » proclame mon mari d’une voix de stentor qui fait relever toutes les têtes sur la plage et descendre le maître nageur de son perchoir. « Comme elle était plantée devant la serviette de mon épouse lorsque je suis rentré de la baignade, j’ai cru qu’elle appartenait à l’un des freluquets que mon fils fréquente. J’attendais de pied ferme le goujat qui l’avait si mal posé, pour le sermonner, dès sa sortie de l’eau. Mais bon, j’aurais du le savoir, les copains de Lulu n’agissent pas ainsi, ils savent se conduire, eux !!! »
L’autre, qui s’apprêtait à crier haut et fort « au voleur », reprend son engin en s’excusant et s’en va le familiariser avec l’élément marin sous l’œil amusé de notre smala hétéroclite et goguenarde, assise sur le sable en rang d’oignon comme au spectacle, histoire de ne pas en perdre une miette.