L’exécuteur des vœux ultimes. (Mamido)
Ce trente et un Décembre, une longue soirée attendait Charlie. Durant cette nuit spéciale, moment de passage d’une année à la suivante et synonyme pour la plupart de fête et d’ivresse, lui se préparait à partir au travail.
Comme tant d’autres, me direz-vous, qui du médecin à la sage-femme, en passant par le pompier, le flic, l’agent EDF, de sécurité ou d’entretien, le restaurateur et le cheminot s’apprêtaient, comme lui, à une longue nuit de labeur.
Après une bonne douche, Charlie s’habilla chaudement. De bonnes chaussures, un pantalon confortable, un gros pull que vint compléter un solide pardessus de laine agrémenté d’un cache-nez et d’un chapeau de feutre à large bord. Ainsi accoutré, il avait tout à fait l’allure d’un représentant.
L’après-midi, il avait préparé quelques outils dans une mallette en cuir. Il n’en avait pratiquement jamais besoin car il trouvait généralement sur place le matériel nécessaire à son ouvrage mais mieux valait pouvoir parer à toute éventualité.
Avant d’enfiler une paire de gants noirs en fin chevreau, Charlie consulta une dernière fois la longue liste de ses clients de la nuit. Puis il la fourra dans l’une de ses poches avant de sortir en refermant soigneusement sa porte.
Il se rendit d’abord à l’hôpital, puis à la maison de retraite où se trouvait le principal de sa clientèle. Avant de sortir de chacune des chambres où il avait exécuté sa tâche, il prononçait cérémonieusement « Avec les meilleurs vœux de la maison, Madame… » ou « Monsieur », c’était selon. Il consacra la fin de sa nuit à ses visites chez des particuliers. Chaque fois, avant de s’en aller, il prononçait cérémonieusement ses vœux. Une fois dehors, il barrait l’un des noms de sa liste.
A sa sortie, sur le palier de la dernière maison, personne ne répondit à ses vœux, comme dans les maisons et les chambres où il s’était rendu précédemment d’ailleurs.
Charlie haussa les épaules avec un doux sourire. Il n’était ni étonné ni choqué. Plutôt satisfait même. Si personne ne lui répondait, cela signifiait tout simplement que le travail était bien fait.
Il était l’exécuteur du souhait ultime de tous ceux qui, chaque jour, appelaient de tous leurs vœux la mort.
Sa tâche était simple et rapide. Affaiblis par la vieillesse ou la maladie, de plus, consentantes, les personnes ne lui opposaient aucune résistance. Une tisane aux herbes choisies, un simple bouillon de onze heures, un oreiller ou une petite poussée dans le dos, en haut d’un escalier et pratiquement sans douleur, le vœu du client était accompli.
Le travail était efficace et soigné, accompli avec humanité : Charlie accompagnait ses clients jusqu’au bout. En trente ans de métier, Charlie n’avait encore essuyé aucune réclamation. En effet, quand le job est correctement exécuté, il est rare que le client revienne de l’au-delà pour se plaindre !
Comme son père avant lui, Charlie se méfiait des intermédiaires. Aussi, ne travaillait-il jamais à la demande des familles. Il traitait toujours directement et exclusivement avec la personne concernée. Aucun contrats écrits, prestations payables d’avance et en liquide.
Charlie était consciencieux et compétent. Son entreprise n’avait nul besoin de publicité. Le « bouche à oreille » suffisait à sa renommée. Son carnet croulait sous les commandes.
Il était six heures maintenant. Le jour n’allait pas tarder à poindre. Charlie releva le col de son pardessus de laine. Il se mêla aux nombreux fêtards qui, avant de rentrer chez eux, passaient chez le boulanger pour y acheter les premiers croissants de l’année.
Il répondit à leurs vœux avinés avec un sourire las puis, les épaules voûtées par la fatigue, son paquet de croissants à la main, sa baguette sous le bras, il rentra chez lui.