Jour de Corso (Mamido)
Robert Doisneau
Dans les années cinquante, le corso fleuri avait lieu tous les ans le dernier dimanche de Mai, jour de la fête des mères. La vogue s’installait sur la grand’place pour une semaine entière avec ses manèges et ses attractions qui faisaient le bonheur des plus grands aux plus petits.
Le défilé des chars fleuris était le clou des festivités Il était organisé par les associations de la ville qui unissaient leurs efforts pour présenter le plus beau des spectacle, chacune préparant dans le plus grand secret un char destiné à rivaliser d’inventivité et de beauté avec les autres.
Mon père, comme son père avant lui, était trombone dans la fanfare du centre culturel laïc. Cette année les militants avaient choisi l’aviation comme thème de leur char.
La benne du camion de Léon le limonadier avait été transformée en bombardier croulant sous les fleurs de papier crépon. Les passagers étant les garçons de l’école publique tous déguisés en aviateurs.
Tout autour, au sol, devait défiler une escadrille de petits avions construits avec des matériaux de récupération durant l’hiver dans le secret de l’entrepôt de Juste, le garagiste. Le mien, imaginé par papa à partir de deux caisses de bois et de trois des roues du landau de ma sœur avait une hélice et des ailes en carton et arborait de tapageuses fleurs de crépon confectionnées par ma mère et ma grand-mère. Une grande tige de métal servait à diriger l’engin.
Papa étant requis à la fanfare, c’est mon oncle Charles qui avait été désigné pour mener notre équipage.
« - Tu es sapé comme un milord » s’était exclamé mon père en le voyant débarquer dans la minuscule cuisine de notre appartement de la cité des verriers.
En effet, chapeau mou, chemise blanche, cravate, costume trois pièce et gants « beurre frais » à la main, mon jeune oncle avait fière allure. C’est qu’il comptait aller faire sa cour à la belle Henriette dès le défilé terminé.
« - Dans cette tenue, tu vas en faire chavirer des cœurs ! » s’était extasié ma mère qui rêvait de voir son frère, célibataire endurci, enfin établi.
Charles s’était pavané un moment autour de notre table en formica, tout en caressant avec feinte modestie, sa moustache soigneusement entretenue.
Avant de se précipiter sur les berges du fleuve afin de nous voir passer, au cœur du défilé et au son de la fanfare, toute la famille avait tenu assister à notre départ du balcon de la cité.
Nous avancions, protégés des premières chaleurs de la saison par les platanes de l’avenue. Moi, fier comme Artaban, dans ma drôle de machine, menée par l’élégant oncle Charles.
Mais aujourd’hui encore, je me demande quelle idée avait eu ma mère de me confectionner ce costume marin dont le béret à pompon était pour le moins incongru dans le monde de l’aviation auquel j’étais censé appartenir durant ce défilé.
Rive de Gier, le 17 Décembre 2013