RYTHMES ………. (Sergio)
Il s’était réveillé contraint, le réveil numérique n’avait pas fonctionné.il était transi de froid.il se leva dans l’obscurité la plus totale. Aucun témoin de veille d’ordinateur ne scintillait dans cette pièce de repos sans fenêtre .après s’être écrasé l’orteil gauche il trouva sa frontale, s’habilla, et partit au petit trot comprendre ce qui se passait. Comble du problème il était seul dans cet observatoire perché car Piotr, son collègue avait dû redescendre hier par la dernière benne, victime de fortes fièvres. Le remplaçant arriverait demain, surement Pierre. Il aimait bien cette veille hivernale, cette parenthèse, sa parenthèse. Quand les programmes s’interrompaient pour l’hiver les équipes regagnaient des altitudes et des températures plus clémentes. II était seul depuis longtemps alors seul en bas ou seul à l’observatoire il avait vite choisi. Par contre ce matin il était seul pour gérer cette panne d’électricité. De surcroit les systèmes de secours n’avaient pas fonctionnés. Au bout du tunnel il arriva dans la salle du groupe de secours, tout avait l’air normal. Le groupe démarra du premier essai et le courant se précipita dans l’installation. OUF il était temps d’aller déjeuner. De retour à la base, expression qui désignait l’endroit où se réfugiaient les deux gardiens-chercheurs. Il se fit sa théière du matin en chauffant l’eau sur le bec bunsen. Le matin du mélange « caravane » et le soir vers dix-sept heure une autre de « Earl Grey ».Ces deux thés rythmaient sa vie. Machinalement il regarda sa montre –neuf heure trente- ??? c’est impossible pensa-t-il .il décrocha le bracelet et écouta le tic-tac parfait. Quand même une Master control de Jaeger&Lecoultre , un mouvement mécanique automatique jurassien ne pouvait se tromper. Il regarda par l’oculus vers l’immense plaine presque trois mille mètres plus bas t ce qu’il vit le stupéfia.il n’y avait pas fait attention, plus aucune lumière. Il leva les yeux vers les étoiles vers la voie lactée
et ce qu’il vit le pétrifia. « Les étoiles se sont arrêtées » il se dit cela à lui-même et à haute voix. Cela n’avait pas de sens. Sa montre indiquait 9h30. le ciel indiquait qu’il était minuit et le soleil ne se levait pas à l’Est. En bas pas la moindre petite lueur. Il essaya de téléphoner, faxer, mailer mais plus rien ne semblait fonctionner. Pour vérifier il lança un programme de surveillance automatique de la courbe de rotation de certaines galaxies. En ce moment il espionnait une certaine Galaxie spirale M33 du Triangle, c’était sa plus proche voisine et cette dernière ne tournait pas comme elle aurait dû tourner. Mais là, NOM DE DIEU elle était figée. Il se précipita pour écouter son plus vieux compagnon le pulsar PSR 0531+22 qui éructait trente-trois fois par seconde dans une large fréquence. Depuis 1054 où il fut observé par un collègue chinois il rythmait tel un métronome le cœur de la nébuleuse du crabe.
Il s’était tu, lui aussi. L’univers avait perdu le rythme, la petite musique qui rythmait sa course. Cela contredisait toutes les théories élaborées mais force était de constater que tout tenait en équilibre. Il n’avait pas d’explication sauf à imaginer que nous étions arrivés à l’expansion maximum pour entamer une phase de contraction. Il aurait dû rayonner de bonheur car cela validait une théorie qu’il avait soutenue, souvent sous les quolibets mais dans son hypothèse cela se passait dans 37 milliard d’années. La comme acteur dans la pièce THE BIG CRUNCH il trouvait soudain le scenario un brin tragique. Nous étions dans une phase de singularité, un entre deux sans mouvement, sans rythme. Il aurait adoré faire une thèse sur ce phénomène mais la gravité de la situation lui interdisait d’en rire encore que il valait peut-être mieux en rire tant qu’il était encore temps. Il, enfin ils étaient bloqués sur la face désormais non chauffée par le soleil.la température allait chutée. Il décida de noter cette évolution en Kelvin vu ce qu’il supputait cela saurait plus pratique. Cette position figée face au noir sidéral signifiait l’arrêt de tous les rythmes qu’il avait aimé. Plus de saison signifiait, oublié le retour du printemps l’ouverture de la pèche à la truite ; le même matin à intervalle de 12 mois sur le même ruisseau, oublié l’été, ses salades grecques, ses tomates gorgées de soleil et les bouteilles de Cassis. Oublié le cycle travail, vacances, week-end, oublié les générations se succédant depuis des temps immémoriaux.
Température extérieure = 263K
Il repensait aux rythmes des marées, les vagues, le sac et le ressac. Ils avaient adoré, avec son épouse ce bout de Bretagne. Elle était heureusement décédée. C’était la première fois qu’il tirait un bonheur de cet évènement. Elle aurait été terrorisée.il pensa à tous ses amis, collègues et tous les autres perdus dans une peur noire.
Température extérieure = 255K
Il repensa au rythme des élections, puéril dorénavant. Tout ce qui avait fait la vie des hommes, des civilisations, naissance, vie, décès, cette respiration immuable venait de cesser.
Il repensa avec bonheur au Défi du samedi, au rythme qu’il impulsait sur ces semaines. Samedi matin découverte du défi puis après quelques pétrissages il mettait la pâte dans un coin de son cerveau pour qu’elle lève, tranquillement. Dès le lundi matin il avait une idée de ce qu’il allait cuisiner avec ces ingrédients et jusqu’au mercredi après-midi il travaillait par petites touches, en précuisaient certains puis les réservaient, assemblait sans précipitation, rectifiait l’assaisonnement, épiçait certains textes trop fades à son gout, réduisait en cocotte les bavardages . Le vendredi il dressait l’assiette et envoyait en salle. Et hop ! Un kebab revisité par Lafontaine pour la table 275.
Température extérieure = 250K
Dans ce silence absolu il devinait le ronflement binaire du groupe électrogène. Ce serait surement le dernier rythme de sa vie. Quand il arrêterait de produire de l’énergie ce serait la fin. Il décida donc de s’offrir un dernier repas digne de ce nom. Il descendit à la réserve et remonta un Chablis grand cru de chez E-Defaix .quel beau rythme que celui de la vigne. Il accompagna de trois tranches de pâté en croute pistaché, d’un saucisson entier et de 6 rigottes de chèvre. Il programma sur son PC relié à son installation HI-FI quelques disques qui l’avaient accompagné, qui avaient bercé ses nuits de doute et ses longues séances de travail ou, tout en fredonnant et battant le tempo avec son genou droit il réfléchissait.
- Patricia Barber –companon
- Miles Davis – so what
- Stan Getz – Anniversary-concert à Copenhague
Cela agaçait sa mère. Un peintre en bâtiment peut siffler en travaillant, pour rythmer son ouvrage mais pas lui ???
Température extérieure = 245K
Ce Chablis, quel tempo et quelle résonnance. Normalement il ne digérait plus très bien et surveillait son cholestérol mais il avait jugé que cela n’aurait plus d’importance.
Température extérieure = 240K
En s’attaquant à la bouteille de Lagavulin 16 ans d’âge qui clôturait ce concert gastronomique il songea que l’hémisphère nord allait être lyophilisée par le froid et l’hémisphère sud carbonisée par un soleil ardent qui ne se coucherai jamais.
Température extérieure = 235K
En bouche ce single malt, un pur bonheur, tombe d’abord dans des notes marines sur fond de réglisse puis un final, quasiment du Verdi marqué par des notes délicates & boisées .un opéra ……..
Température extérieure = 230K
Miles entamait SO WHAT .Il entamait la deuxième moitié de sa bouteille de whisky.43° dans les veines et presque autant en négatif dehors. Il aurait bien aimé observer ce qui se passerait à l’approche de 0.0000001 K, l’installation d’une certaine entropie, une totale immobilité des particules élémentaires, l’arrêt du rythme nucléaire. Il imaginait les neutrons arrêtant leur samba endiablée autour des demoiselles proton et neutron.
Température extérieure = 213K
Le martèlement sourd du groupe s’arrêta et s’installa un silence sidéral.
Il but le reste de la bouteille pour anesthésier le dernier rythme qui battait encore, son rythme cardiaque.