Feuille d’automne - suite au défi 271 - (Sergio)
Elle était la devant ses yeux, magnifique, éblouissante .Elle était la première chose et la seule qu’il voyait depuis qu’il avait décidé de rouvrir les yeux.
Ce fut une souffrance atroce de se forcer à mettre en mouvement vers le haut ses paupières brulées, craquelées. Mais il fallait qu’il voit, qu’il se raccroche à quelque chose Apres ce qu’il venait de vivre il devait s’arrimer à quelque chose de beau .
Il ne fut pas déçu. Elle était la devant lui, tout prêt de son visage et dans sa merveilleuse simplicité elle lui tendait les bras semblant lui dire « regarde-moi, oublie »
C’est ce qu’il avait fait .Oubliées les horribles minutes précédentes, oubliés cet instant où dans le train qui le ramenait chez lui il avait vu les deux cabas à carreaux blancs & bleus oubliés par les deux africains et presque en même temps que cette lecture prémonitoire un terrible flash, blanc à l’extrême et comme une expansion de l’univers dans un assourdissant hurlement cataclysmique. Il avait été projeté au travers de la vitre du wagon puis avait traversé le grillage bordant la voie et un enchevêtrement d’arbres, de ronces et de lianes. Il avait été éructé comme si l’explosion le vomissait tel un aliment indésirable. Son dos et ses vêtements avaient été lacérés. Au passage forcé au travers du grillage, sa peau et des muscles avaient été arrachés. Il avait atterri durement dans ce sous-bois, dans ce creux remplis de feuilles mortes.
Il s’était recroquevillé en position fœtale ne pouvant même plus hurler de douleur tant il était dans un halo flottant, assourdi comme hors de ce lieu .Il avait mentalement fait le tour de son corps.
Aucune information ne put le rassurer. Chaque centimètre de peau, chaque articulation, chaque extrémité lui envoyait des signaux alarmants. A chaque aspiration il avait l’impression d’ingérer du verre pilé.
La petite feuille morte, si fragile lui sauva la vie.
Elle était désormais sa seule amie. Il suivit ses conseils.
Il se retira entièrement dans sa boite crânienne, tout au fond de lui-même dans un endroit secret que lui seul connaissait. Il avait déjà pratiqué cela, certes en des moments moins pénibles pour s’échapper dans des réunions familiales ou professionnelles. Il était présent à n’en point douter, écoutant doctement des surdéveloppés de l’Ego pérorer, physiquement mais déjà il était ailleurs.
Sa position couchée latérale lui donnait une vision verticale de son amie. Elle représentait presque l’ensemble de son champ de vision. Sans ses lunettes perdues dans la tourmente il ne possédait plus que la vision de prêt. Ce qu’il voyait le réconfortait. Il se concentra sur cette feuille et une vision apaisante lui vint à l’esprit, ce qui ne manqua pas de l’étonner au vu de la froideur de leur relation depuis bien longtemps, mais ………..
Cette feuille, bienveillante, souriante presque dans son bel habit de soie mordoré, avançant ses deux bras dans un élan protecteur lui rappela un tableau qu’il avait vu dans sa jeunesse, au bras de son père au musée des beaux-arts de Lyon : La vierge à l’enfant. Elle était devant lui, prête à le prendre dans ses bras maternels et l’envelopper dans un linge immaculé. Elle lui souriait, apaisée. Son visage rond, bienveillant lui apportait un refuge.
Peut-être étais ce aussi les effets des analgésiques puissants que son cerveau, dans un réflexe programmé fabriquait en grande quantité. Dès l’atterrissage, si l’on peut dire, son hypothalamus avait libéré massivement des opioïdes dans l’espace inter-neurone afin d’amortir les signaux de la douleur qui remontaient de toute part puis injecté des endorphines. Pour le moment c’était la seule solution qui s’offrait à lui. Durer, simplement durer. Il ne pouvait supprimer l’origine du mal mais bâillonnait les messagers.
Sa vierge parée de feuilles mortes faisaient la même chose. Elle l’exfiltrait de la zone de cauchemar. Il n’était plus la, il flottait dans une zone inatteignable.
Au bout d’u temps qu’il ne pouvait définir, il entendit une voie bizarre, étouffée, évoluant dans un registre hertzien ultra bas et comme exaaaaagéééééément raaaaaleeentiiiie .Il ressentit plus qu’il ne sentit réellement, au travers de sa forteresse, des bruissements, des pas sourd autour de lui .il ressentait dans son corps la vibration sourde du choc des semelles sur le sol autour de lui.
Il sut que les secours étaient là.
Il ouvrit les yeux et vit la petite feuille qui lui souriait.