Le beau jeu (par joye)
Le beau jeu est un perte-temps où deux grands groupes d’hommes passent des heures à courir ci et là auprès d’une boulette noire et blanche sur une promenade verte. Ces hommes portent des bats-ta-femme mais avec des manches et des shorts un peu bizarres qui montrent bien leurs belles cuisses.
Le but de ce jeu est de tomber par terre à chaque fois qu’un membre de l’autre équipe passe près de toi et de crier fort et de faire comme si celui-là t’avait cassé la jambe. Si tu joues très bien, le prisonnier dans son costume rayé sort un carton jaune et le jette par terre en exaspération.
Si tu joues super, super bien, on demande à l’autre beau-joueur qui est passé à trois mètres de toi de sortir du stade. On ne montre jamais où va le bonhomme, mais je pense qu’il va à la station de taxis à la sortie pour qu’on le ramène chez lui, et puis il mange sa soupe et se couche de bonne heure parce que demain, il y a l’école.
Et si tu joues super, super, super bien, tu te relèves trois secondes après sur ta pauvre jambe de cassée et tu repars à courir à tue-tête derrière la boulette. Oui, je sais, c’est miraculeux ! Si tu sais faire ça, c’est que ta mamie a beaucoup prié pour toi et qu’elle a allumé une bougie devant la maman du doux Jésus ! - comme le dit Papa - chaque jour.
À chaque bout de la promenade où courent ces beaux joueurs, il y a un filet suspendu. Je sais que c’est un filet pour attraper les poissons parce que j’en ai vu de pareils à Guilvinec. Devant chaque filet se trouve un autre beau joueur qui ne court pas. Peut-être parce qu’il a une crampe.
En tout cas, on sait qu’il n’est pas très calé, le gars, parce qu’il oublie souvent d’enlever ses gants avant de jouer. Papa dit que c’est mieux pour attraper la boulette, mais je sais que Papa raconte des balivernes, parce que tout le monde peut voir que le filet va arrêter la boulette lors des rares occasions qu’elle rentre dedans.
Parfois quand la boulette rentre dans le filet, Papa est très heureux et il crie et il danse un peu devant la télé. Parfois quand la boulette rentre dans le filet, Papa commence à parler une autre langue dont tous les mots ressemblent à pue-tin-pue-tin-pue-tin-puuuuuuuuuue-TIN ! J’ai voulu apprendre le putinais, il me semblait plus facile que l’anglais, mais quand j’ai demandé à Maman, elle a dit qu’elle verrait ça avec Papa ce soir-là. Elle a dû oublier et Papa aussi, paraît-il, parce que cela fait plusieurs semaines qu’il ne dit plus rien devant la télé. Même s’il danse encore quelquefois, surtout s’il a pu sortir deux cannettes au lieu du frigo au lieu d’une sans que Maman s’en aperçoive.
Et parfois, les beaux-joueurs courent tout le temps et la boulette ne rentre nulle part, alors à la troisième mi-temps, on fait la queue et on frappe la boulette et elle rentre dans le filet et c’est la fin et tout le monde saute et danse sauf ceux qui sont en train de crier pue-tin-pue-tin-pue-tin-puuuuuuuuuue-TIN !
Voilà, c’est le pourquoi du comment du beau jeu. Papa dit que cela s’appelle « le foot » mais je crois que c’est encore une de ses balivernes parce qu’il me semble qu’il y a très, très peu de gens, à part Maman, qui s’en foot absolument.