15 juin 2013
L'allumeur d'étoiles (Vegas sur sarthe)
Arlequin glissa prestement sa montre dans sa poche et se remit à ramer de plus belle en laissant une longue traînée lumineuse derrière lui; une fois de plus il était en retard, très en retard... il avait toujours eu du mal avec cette corvée d'allumage du firmament, mais c'était son métier et il se devait d'accomplir sa tâche avant le lever du jour, malgré son encombrante embarcation et la fragilité du briquet.
Une lune froide baignait le champ de batailles d'une lumière irréelle, et Colombine s'efforça en frissonnant de tirer à elle un pan de la couette; elle eut un sourire vers celui qui ronflait contre elle. Comme un prolongement à son plaisir, des milliers de lucioles dansaient encore dans ses yeux clos et irradiaient tout son corps; sa main s'égara entre ses cuisses jusqu'à la toison moite et chaude... l'orgasme avait été si violent et si soudain qu'il lui semblait avoir manqué des épisodes à leurs ébats.
Battant le briquet entre ses doigts douloureux, Arlequin allumait un à un les petits astres à mesure qu'ils passaient à sa portée et les repoussait ensuite d'un vigoureux coup de rame pour mieux se propulser vers le suivant; cette nuit était la dernière de l'année et il ne devait omettre aucun détail s'il ne voulait pas s'attirer les foudres du Maître.
Colombine ouvrit lentement les yeux de peur d'effrayer les lucioles qui dansaient encore et fixa le rectangle de nuit claire qui entrait par la fenêtre; elle se sentait bien, caressa ses seins jusqu'à sentir durcir les tétons et faire renaître une belle envie. Elle se cambra sur le lit, il lui semblait que les étoiles s'allumaient une à une et plus brillantes les unes que les autres: était-ce cette irrésistible envie ou juste le miracle de l'univers qui s'accomplissait ? Sa réflexion cessa quand une cuisse musclée s'insinua entre ses jambes, comme la rame effilée d'une barque fendant la surface d'un lac.
Elle gémit doucement.
L'allumeur de firmament cessa soudain de ramer; il lui semblait que l'air devenait plus chaud, d'une moiteur incongrue en cette saison, et tandis que la rame oscillait sans raison dans sa main, il eut la perception d'un râle profond venu d'en bas, comme une brise de terre inattendue dans ce ciel si calme. Les astres scintillaient comme jamais, éclipsant la lueur blafarde d'une lune interloquée tandis que le râle se faisait plainte, sourde mélopée rythmant l'oscillation de la rame à tel point qu'elle lui échappa des mains.
Il mit du temps pour réaliser qu'il tombait et se souvint de ses efforts pour stabiliser la barque; il plongeait mais sans inquiétude tant il était souvent descendu sur la terre; et puis son travail de nuit était accompli et le Maître saurait pardonner cette incartade.
Au dessous, les minuscules toits des maisons grossissaient à vue d'oeil. Parmi elles, il en était une plus éclairée que les autres, et c'est là qu'il semblait fondre.
Dans un fracas indescriptible, la fenêtre explosa, projetant une myriade d'étoiles de verre dans la chambre et sur le lit aux draps déchirés; étouffé sous les grands oreillers, Arlequin se débattait comme un beau diable pour refaire surface... et cette créature qui n'en finissait pas de crier "Viens, viens!" lui perçait les tympans.
Au bout d'un moment qui lui parut une éternité, elle cessa de crier et se calma tout à fait; il l'examina à la dérobée.
Elle était plutôt jolie avec ses petits seins pointus et son ventre blanc. Elle lui sourit...
"Moi, c'est Arlequin" dit-il les yeux brillants, "je suis l'allumeur d'étoiles".
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