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Le défi du samedi
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1 juin 2013

La traversée (Stella No.)

Cher journal,

 

Cela fait maintenant 5 jours et 6 nuits que nous avons quitté La Havane pour la Floride. Les passeurs nous avaient dit que la traversée ne serait pas longue et que les conditions étaient optimales. Mais nous avons essuyé deux tempêtes. Nous avons dû jeter de nombreux corps à la mer dont de très jeunes enfants. Après la panique, les gens semblent à présent sidérés. Je vois les visages qui se creusent et la couleur qui s’efface de nos peaux bronzées. Rien à voir avec le soleil, c’est la peur qui nous blanchit. Les passeurs nous ont demandé de l’argent. Beaucoup d’argent. Et nous n’avons ni nourriture ni eau. Un nourrisson a succombé après que sa mère n’ait plus eu de lait à lui donner. Ce fut atroce. J’entendrai toujours ses hurlements et je me souviendrai longtemps du silence qui a précédé son saut dans l’eau glacée. Son enfant et elle ont disparu très vite. Chacun s’observe, s’attendant à ce qu’un autre saute volontairement de l’embarcation. Il faut dire que nous sommes très nombreux. Trop pour une telle barque. Lorsque la première tempête a enlevé une dizaine de personnes, nous avons pu avoir suffisamment d’espace pour respirer. Lorsque la seconde a emporté la moitié des hommes restants, nous avons pu allonger nos jambes et nous dégourdir les membres. Le froid nous pénètre de partout. Nos vêtements sont humides et sentent le moisi. Je sens que des crevasses se forment sur mes pieds et mes mains. Je ne veux pas regarder, je ne veux pas connaître les dégâts. J’ai entendu les passeurs dire qu’une autre tempête allait nous frapper, plus violente encore. Ils hésitent à nous laisser là et à repartir. Nous ne sommes que du bétail à charrier. La peur d’être pris par la police en devient secondaire. Il faut déjà survivre à une troisième tempête, à la faim, à la soif. Que je puisse encore écrire dans mon cahier protégé par un vieux plastique tient du miracle. Et puis de toute façon, il est hors de question de retourner à La Havane. Je n’ai pas sacrifié tout ce que j’avais pour repartir là-bas. Si la police arrivait, il me resterait toujours le seul trésor que j’ai emporté avec moi : le coutelas de mi abuela. Que Dios me perdone !

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Commentaires
G
un constat amer<br /> <br /> sur un triste récit<br /> <br /> si bien dit
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P
Ton récit reflète le parcours de tant de personne. Cette barque est le sentier de la liberté lorsqu'on arrive au bout du voyage. Je connais des amis qui ont du vivre cette expérience qui était à la fois douloureuse et pleine d'espoir...<br /> <br /> Merci Stella pour ce récit.
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A
Bravo, tu as été à fond dans le sujet. Moi je n'ai fait que l'effleurer et en faire une parabole générale sur tous ceux qui sont embarqués dans la vie sans y être vraiment préparés et dans des conditions précaires. On sent que, comme tu le dis, tu es bien documentée, et même nous apprends-tu, par des témoignages concrets. Merci Stella pour ce partage.
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T
Très émouvant cela devient non pas une vie mais une galère
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E
Un récit bouleversant. Tu as tellement raison, ces personnes deviennent souvent des "survivants" remarquables !! :)
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S
Triste vie qu'ont ces gens-là mais pourtant, lorsqu'on les interroge la liberté vaut tous les pic, même la mort. Ceux qui sont partis et ont du revenir tentent encore et encore leur chance avec leurs maigres moyens. Ils savent ce qu'ils risquent mais l'attrait de la liberté est trop fort.<br /> <br /> J'ai la chance d'exercer un métier où j'entends de telles histoires de vie que je me suis toujours dit qu'un jour, j'en écrirai un livre... Ces gens qui se battent pour survivre à tout prix me semblent d'une force innommable... Ils me laissent pleine d'une admiration stupéfiée.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour os commentaires, cela me touche beaucoup que j'ai su retranscrir une petite part de l'horreur de ce qu'ils vivent.
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S
Du bétail en effet, au MAC'S musée d'art contemporain près de chez moi, j'ai vu une paire de tong, les semelle avait été sculptée pour qu'elles laissent des traces de pattes de bovin...
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V
bel hommage aux désespoirs de ctete humanité à la dérive
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P
Oui texte qui fait froid dans le dos et nous rappelle notre inhumanité ! mais aussi la chance que nous avons de ne pas faire partie de ce genre d'embarcation ! Et vu de l'intérieur c'est bouleversant !
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K
comme vécu de l'intérieur , je m'imagine comme toi les mêmes choses que ces gens vivent sur ces embarcations frêles et remplies de tous les malheurs...c'est terrible !!!<br /> <br /> moi qui ne sait pas nager et qui ai si peur de la noyade, je pense que beaucoup sont comme moi et montent par désespoir , la dernière chance pensent-ils!!<br /> <br /> bravo beau texte que nous aimerions appartenir au passé <br /> <br /> bisous katyL
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C
Tu as eu la même inspiration qu' Anémone avec cette évocation remarquable de l'histoire des boat people...c'est si bien raconté et avec tant de détails que j'en suis restée pétrifiée de longues minutes. Un grand talent!
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S
Quand j'étudiais au Mexique, une de mes profs racontait son voyage, elle aussi était venue aux US dans le Mariel Boatlift - et cela sans même un couteau ! Quel courage !!! Ce que je retiens le mieux, c'est qu'elle n'a pas pu rester en Floride, on l'a transportée au Minnesota (au nord où il fait froid) et elle a dû passer plusieurs mois dans un "camp de concentration" (comme elle l'a dit). Wow. Merci pour le rappel de son histoire.
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