Ramer ? (Sandrine)
-Vous plaisantez j'espère, très cher, car j'ai suffisamment ramé dans
la vie pour mériter un canot à moteur ou mieux encore un bateau à voiles
avec vent en poupe et tout et tout ! Ramer ? Mais vous n'y pensez
décidément pas !
Oh, et puis non, pas de bateau, même à voile ou à vapeur ! Je préfère
encore rester à quai. Le courant ne va pas dans le bon sens, c'est une
évidence, la vie n'est pas un long fleuve tranquille, non ! Non ! Non !
Aller à contre-courant ? Mais, très cher, vous n'y pensez guère ! Regardez ces
bras, si fins et délicats, vous imaginez qu'il y aurait là la place pour
pareil exploit ?
Filez-moi plutôt de solides chaussures : marcher dans les broussailles
par ce petit chemin de randonnée, ça oui, je veux bien. Avec un peu de
chance, je trouverai une mule en chemin.
Je n'ai jamais compris ce goût de l'eau chez les gens, alors que la
terre ferme à tant d'avantages ! On peut trébucher, se ramasser la
trombine par terre, se tordre le pied dans une ornière, se faire mordre
par une vipère, croiser une mygale sur la route du Népal ou se faire
amputer des amygdales en pleine brousse, un lion aux trousses, personne à
la rescousse, mais se noyer, JA-MAIS !
Euh, finalement, Henri-Charles-Hubert, je vais rester à quai, à
bouquiner. Si tant d'auteurs se sont fatigués à écrire des bouquins,
c'est bien pour nous permettre de marcher sur les chemins de la vie par
procuration, n'est-ce pas ?
Henri-Charles-Hubert tendit un livre à Berthe-Françoise, si absorbée
par son aventure qu'elle ne vit pas la noyade, c'était toujours ça de
moins à trainer, d'autant qu'elle s'était fait enlever par un marin d'eau
douce qui avait attrapé le mal de mer depuis que sa belle-mère avait
appris la navigation.
Le destin, c'est quand même quelque chose !