Des chemins, des sentiers et des rues où l'on marche (Joe Krapov)
23 lignes pour évoquer les chemins et sentiers sur lesquels j’ai marché ? Pour dire toutes les rues que j’ai arpentées ? Mais on me demande carrément l’impossible, là ! Même mon disque dur externe qui sert de mémoire d’appoint à mon unique neurone proteste alors que mes boîtes de photos et de diapos trépignent dans leur placard : « Fais nous prendre l’air, cela fait des années que tu dois faire la liste des endroits où vous êtes allés ! ».
Autre réticence : cette évocation de la marche effrénée du photographe-poète n’est-elle pas un peu trop personnelle ? Ne relève-t-elle pas plutôt de l’épanchement sur un blog que de l’inscription dans un Défi, fût-il aussi peu futile que ne l’est celui du samedi ?
Et puis qui s’intéresse, dans nos cités plus qu’agitées, aux douceurs de la Suisse normande, aux mystères du Yeun Elez, aux joies maritimes du GR 34, aux curiosités touristiques de la Rance vers Pleudihen, aux sentiers des douaniers de Belle-ïle, Jersey, Guernesey, Noirmoutier ? Qui veut encore longer la Loire ou le canal de Nantes à Brest ? Qui veut faire le long parcours austère dans le sable, l’impérissable tour du splendide Marquenterre ? N’ai-je pas déjà montré abondamment les rues de Bruxelles, Nancy, Lyon, Strasbourg, Nantes ou Rennes ?
Non, vraiment, pour causer dans les salons, pour être à la page aujourd’hui, il faut avoir joué les trottins bien puritains, bien purotins, derrière le popotin de la Christine Boutin, avoir marché, sévère et purgatif, derrière le dargif pas forcément jojo ni toujours impavide (d’un pas vide) de Frigide Barjot. Et cela, en vérité, je vous le dis, c’est véritablement impossible pour moi. Sans compter, mais cela nous éloigne de la bonne marche de cette chronique, que je me fiche comme de ma première paire de chaussures de randonnée de la façon dont au mois d’août à Knokke-le-Zoute, Georges et Roger s’empapaoutent. Et de plus les séances de gymnastique au lit (astique, hola, asticot las ! Unique au lit fut Nicolas nous dit Carla) de Véronique et Davina me broutent quelque peu (et pourtant mon rêve secret, quand je serai grand, est d’épouser une lesbienne) surtout quand Véro tique devant Davina tendue et que Claude François me recommande de marcher droit .
Bref chacun est libre de prendre son pied sur les marches ou dans la marge. « Moi je préfère la marche à pied », comme chantait Salvador. Et bien souvent, comme ajoutait Goldman, « Je marche seul » ou alors accompagné de ces fabuleuses Bretonnes qui m’ont converti à cette activité que je trouvais jadis ingrate et que je juge désormais fondamentale.
Avant que la limite des 23 lignes ne soit atteinte ou dépassée, je dois avouer que j’ai longtemps traîné les pieds en ronchonnant derrière leurs jolies fesses, me demandant à quoi rimait ce genre de messe dont elles raffolent. Marcher dans la campagne, quelquefois sous la pluie, effectuer un circuit, une boucle, me semblait marcher pour marcher et je me demandais souvent, sous ma pèlerine, en nage : « Par Saint-Jacques, que composent-elles ? ».
Maintenant c’est moi qui vais devant, qui mène la marche, le Canon Ixus HS 220 ne quittant plus ma menotte droite, heureux de laisser loin derrière moi tous ceux qui causent dans les salons. Je les préviens ainsi que vous car pour finir cette chronique je vais une fois de plus blasphémer :
« Quand je marche au-dessus des vanités humaines
Je me sens comme Dieu arpentant ses domaines ».
Ite missa est ! Et vive la Bretagne !