Quand elle était petite, elle aimait beaucoup les chiffres.
Ceux qu’on récite avec fierté dans les tables de multiplication, six fois sept quarante-deux..
Ceux qu’on chantonne Un, deux, trois, nous irons au bois.
Ceux qu’on danse à la corde, 1,2,3,4,5,6,7, Violette à bicyclette.
Ceux qu’on décompte pour désigner le joueur, Un petit cochon pendu au plafond…
Ceux qu’on frappe joyeusement du pied en marchant, Un kilomètre à pied, ça use les souliers.
Mais aujourd’hui, ça a bien changé.
Elle a peur de lire le thermomètre. Peur d’y voir un zéro ou un chiffre en-dessous de zéro. Car il ne fait plus que dix degrés dans la maison, et quatre dans la salle de bains.
Elle a peur de lire les résultats de l’analyse de sang. Peur d’y voir des nombres trop élevés ou trop bas. Car ce n’est jamais le moment de tomber malade, et aujourd’hui moins que jamais.
Elle a peur de lire son courrier. Peur d’y voir les montants à payer. Car elle craint de ne plus y arriver, un jour ou l’autre.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, Adrienne a fait des dettes !
Comme uNe OMBRE............ils le disent : toi qu'a un bottin dans la tête, c'est quoi au fait le numéro...je suis le bottin.....et Je me débrouille de recettes en recettes par sept, sept oeufs, septs cuillères, 7 minutes.....demain le 17, j'ai 17 ans, je suis née en 1917.........Mon compte est bon, il chantait "comptez comptez vos points, comptez les bien...." le bon nombre? c'est certainement le paquet de fromage où il y a au moins un sept, non? Puis comptez pour rien, en marchant , en tricotant, en rangeant......Comptez le temps derrière et devant, le temps avec et le temps sans, s'en approcher....chercher son nombre d'or.......sans encombre.....même pas peur...Sombre, je suis moN OMBRE....
Non, elle n’avait pas la peur des nombres, juste la peur d’un nombre, un classique dans le genre, le « 13 ». Pourtant elle était née un 13 octobre 1913 et disait toujours que s’il avait existé un treizième mois, elle serait née ce mois-là !
« Mère-grand » (comme j’aimais l’appeler) était notre grand-mère gâteau qui ne manquait pas de nous faire remarquer à mes frères et sœurs et moi-même qu’un hôtel digne de ce nom n’avait pas de chambre n°13 et qu’un building bien pensé passait du douzième au quatorzième étage…
Je me souviens qu’elle avait en mémoire des évènements douloureux liés au 13, mais je n’arrive pas à me souvenir lesquels, sauf qu’un de ses frères, que je ne pense pas avoir connu, était mort un 13.
Avant tout, disons-le, ma grand-mère nourrissait des superstitions liées à son métier, elle était danseuse étoile, artiste de scène. Le vert était une couleur « interdite » et lorsqu’elle faisait tomber son peigne par terre, elle tapait dessus trois fois du pied gauche (surtout pas le droit !) en disant « merde – merde - merde »…
Cela explique-t-il que mes superstitions ne s’arrêtent qu’à ce qui porte bonheur et qu’il m’est très rare de dire des gros mots ?
Même pas peur, zéro crainte! Mon sang n'a fait qu'un tour, Mais jamais deux sans trois: Pas de cheveux en quatre. Si j'en crois mes cinq sens, Plus le numéro six, Je tournerai sept fois ma langue Et bien assise sur le grand huit Je fêterai l'an neuf en grande pompe.
Je te l'ai dit dix fois Sans agressivité (pas une onze): Tu me fais la vie douze, Mais c'est treize embêtant Quand tu quatorzes tout le temps. On se verra demain en quinze Dans un tableau de Seize Anne (Si d'ici là pas de dix-sept Comme en quatorze-dix-huit).
Même pas peur, zéro crainte! Les nombres ont d'habiles contraintes. Le dos d'un chat qui fait ronron Et le carré, tout tourne rond. Allons, ne prends pas la tangente. Je viens d'un monde parallèle Où tout est bien numéroté, Sans que pourtant rien ne se compte.
Tout y repose sur les nombres, Et leur plus grande perfection Est sans doute leur réserve. Dans la musique, dans la neige. Dans toute proportion. Dans tout équilibre. Partout, présence discrète Et efficace régulation.
Ne prends rien au premier degré: Plutôt comme un message chiffré. Avec toi j'irai aux confins du monde. Des kilomètres sans les compter. Des baisers, des gestes d'amour: Seul cela compte. Mais est-ce que ça peut SE compter? Si le niveau d'essence baisse, J'irai à pied. Si le niveau de sens augmente, J'aurai gagné.
Au loto? Un gain de combien? Non mais tu veux rire! Le bonheur, est-ce que ça se compte? La conscience, est-ce que ça se compte? La plénitude, ça peut se compter? Dis-moi: est-ce que ça se compte, L'éternité?
Lorsque la sonnette retentit soudainement, je tressaillis, mon corps alangui se déplia d’une petite sieste au soleil. Qui pouvait bien oser me déranger dans un moment pareil ? Les mains en casquette devant mes prunelles, j’essayai d’apercevoir le vaurien qui contrariait mon programme, mais je savais bien que le mur d’enceinte du jardin ne me laisserait pas même voir son crâne. Je finis donc par accepter de léviter de ce bain de soleil et la position verticale me rappela le désordre qui régnait sur ma petite personne : non seulement mes cheveux en bataille prouvaient mon laisser aller du moment, mais ma petite robe était bien froissée et son quadrillage vichy ressemblait plus à des vagues qu’à des petits carreaux bien sages. Le carillon sonna à nouveau, mais que me voulait ce malfrat, il allait bien falloir que j’aille lui ouvrir, une main noyée dans mes cheveux, je remettais de l’ordre dans cette bataille d’épis, pendant que l’autre nerveusement passait et repassait sur le chiffon qui me tenait lieu d’habit… je criai alors « j’arrive, j’arrive… » Et avançais dans l’allée prête à houspiller l’empoisonneur de l’après midi douceur que j’avais prévue. Je répétais tout en marchant nonchalamment « j’arrive, j’arrive » ! Il ne fallait pas qu’en plus il s’impatiente ce brigand. Enfin devant la grille je me retrouvai la main sur la poignée, en train d’entrouvrir la lourde porte de l’entrée. Passant la tête pour voir qui osait m’importuner de la sorte, Je clignais des yeux, faisant face au soleil qui m’obligeait à voir, dans un flou artistique, la silhouette plantée devant moi. Un murmure me parvint de cet homme d’un âge incertain :
- Prudence Petitpas ?
- Oui, c’est pourquoi ?, répondis je un peu hargneuse, alors que petit à petit mes yeux s’habituaient à la vision plus nette et qu’il me semblait reconnaître un fantôme surgissant du passé.
Nous restions tous les deux bouches bées, nous dévisageant, n’osant interrompre le charme de cette rencontre impensable. Il fallut bien sortir de notre torpeur, et c’est en reconnaissant son sourire enjôleur que je l’embrassai sur les deux joues et laissai petit à petit mes esprits revenir doucement à moi.
- Que fais-tu là ? je ne te savais pas dans le coin, je ne suis pas très présentable, mais entre !
Et joignant le geste à la parole, j’ouvris en grand la porte afin de faire entrer dans mon jardin l’homme qui avait vingt ans plus tôt bouleversé ma vie. Allait-il par son intrusion envahir à nouveau mon présent et refleurir un peu mon jardin secret qui ces derniers temps, était plutôt en friche… ?
Je pense qu’à cet instant je n’en évaluais pas le risque mais je sais depuis, que je ne regrette pas d’avoir pour mon verger caché, le meilleur des jardiniers….
Nous marchions main dans la main à l’ombre des grandes murailles grises. Des pierres posées par des géants sanguinaires, étranglantes. Des pierres sombres, ruisselantes, hérissées de feuilles arrondies comme des milliers de cœurs meurtris. Des pierres dressées, barrant le ciel, enserrant le soleil. À l’ombre de souterrains sans fond, de geôles oubliées, d’escaliers de cauchemar, emprisonnés par de grosses portes en bois. Closes à jamais.
Des vents marins glaciaux, salés, envoyés au front par des marais assiégeant la ville, entouraient les tours isolées, les meurtrières sans vie, puis se reflétaient au vide des douves vertes et profondes. Enfin, ils s’engouffraient par les larges portes, hurlant dans le labyrinthe des ruelles rétrécies en y tournoyant et en s’y lamentant sans fin.
Nous soufflions un peu. Soulevant de gros anneaux de fer scellés qui retenaient encore chaque nuit les fantômes de vieux chevaux éteints. Bruits mâts de cloches disparues. Mon petit frère m’imitait. Encore un autre bonbon. « Ça fera cinq ! » Souriais-je. Le rituel secret, sacré, durait sur notre chemin de ronde jusqu’à l’école, et nous engrangions ensemble des douceurs intimes, rêvées, sur chaque anneau tinté.
Le lendemain matin, avant de partir, notre mère nous donnait à chacun, juste un seul petit croissant de lune fruité. Coloré, translucide, tout poisseux du sucre fondu. Elle refermait aussitôt puis remontait, bien à sa place, en haut du grand buffet, le joli bocal de verre, Trésor de tous nos interdits…
"Optimisme-aventure", de salon : … Mais où est donc passé le thé ?
Qui a cogné ?
C'est peut-être le vent ? Le vent d'automne ou le vent de printemps ? Peu importe, j'aime les deux. Le premier me prépare aux frimas de l'hiver et le second tonifie mon écorce. Je te laisse choisir…
C'est peut être un pic vert ? Il mettra de la vie dans mon cou. Cela vaut bien une écorchure. Bientôt les oisillons tiendront compagnie aux petits de la pie qui vit déjà ici. Feront-ils bon ménage ? Arrange-toi au mieux avec eux.
Ou c'est peut être un homme ? Mon rêve, s'il doit me travailler, c'est de devenir fond, fond de violon ; pour résonner et t'emmener ballader ( si, si c'est comme cela que je veux l'écrire ici ) . Pas de machine, plutôt tes bras et ta cognée ; c'est beau un homme en plein effort.
Qu'est-ce que cela peut bien être ?
Il est peut-être l'heure ? L'heure de me réveiller ? Il est vrai que je sens que ça monte. Oui, c'est ça, c'est ma sève qui monte. Je vais pouvoir me remplumer de larves et de fourmis. Secoue-moi, secoue-moi il est l'heure.
Enfin je me réveille et merci d'être là, d'être toi.
Mon bois léger et blanc peut étirer ses bras et frémir son feuillu.
Sycomore est mon nom mais tu le sais déjà.
Il t'enchante, ô toi, n'est-ce pas ? Tu trembles mon "i" grec et l'ouverture de mes deux "o" se penchant vers le "r" avec tant d'émotion, je le ressens tu sais.
Il te fait voyager : luminophore, messidor, anaphore … Allez, partons ensemble. Le veux-tu ? Partons en mythes et en légendes aussi, viens voir dans mes sillons.
J'étais mûrier en toi quand tu m'as élagué.
Puis figuier, j'ai nourri ta croissance.
J'ai grandi en érable un peu faux. Il faut me pardonner : c'est un petit écart qui m'a permis de m'enflammer parfois.
Tu es mûr maintenant. Ô toi que je sommeille en moi, ô toi qui me réveilles, ô toi…
J'ai été, j'ai été… chut, viens ô viens, je te dis à l'oreille …" … ".
L’autobus F est bondé. C’est l’heure de pointe. Marie Kievaskaïa se tient à la barre, le bras en l’air, un gros monsieur au crâne luisant de graisse louchant dans son décolleté. Quand soudain, la jeune femme aperçoit sur le trottoir un jeune homme d’une grande beauté, avec un chapeau vert orné d’une plume. Pour sortir, elle se précipite et tire sur le signal d’alarme. Le bus freine tellement sec que tous les voyageurs se retrouvent par terre. Le gros monsieur termine sa course le nez sur les fesses d’une énorme dame, et se prend un coup de parapluie. -Qui a sonné ? demande le chauffeur.
–C’est l’Amour…répond un monsieur rêveur à petites lunettes rondes…
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Géographique
Une gamine russe dans un autobus parisien au moteur fabriqué à Taïwan et roulant à l‘ordinaire raffiné à Grandpuits (Seine et Marne) aperçoit un jeune homme, visiblement un Tyrolien si l’on en croit son chapeau à plume. Elle compte l’épouser à las Vegas ou à Hong Kong (c’est la mode en France). Un sumo japonais atterrit sur une mamma italienne qui l’assomme avec son parapluie anglais. La sonnette d’alarme et les freins du bus sont aux normes européennes.Un homme myope de type caucasien assiste à la scène.
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Cuisinier
Prenez un autobus bien plein. Ajoutez-y une petite paire de lunettes spirituelles, deux grosses paires de fesses, une sonnette d’alarme, un chauffeur ahuri et un parapluie. Réservez à part un joli chapeau de Robin des Bois. Agitez le tout avec une jeune romanesque aux pommettes saillantes. Saupoudrez d’un zeste d’amour fou.
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Lyrique
Ô Cupidon, il me plut que vous décochassiez encore, en ce matin divin, vos flèches assassines dans le cœur d’une jeune pucelle slave, celle-là même qui, en sonnant son olifant, sema le chaos dans un char de mortels sur la ligne de Charybde à Scylla en passant pas la place Clichy … Ô combien de comptables, combien de ménagères, se trouvèrent soudain assis le cul par terre…
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Mathématiques
Soit un autobus roulant à 60 km/h sur la ligne 12. Une fille d’1 m 70, pesant 52 kg et faisant 90 cm de tour de poitrine (au bas mot) au grand dam d’un monsieur qui pèse le triple de sa masse, soit 208 livres, déclenche la sonnette d’alarme à 12 h 18 précises. Les 45 voyageurs étant projetés sur le sol à la vitesse relative de l’énergie multipliée par leur masse au carré, sachant que E=MC2 (mon amour) , et que le choc du parapluie occasionne sur le périmètre crânien du monsieur, qui est de 58 cm, une bosse de 4 cm et demi de diamètre, calculez le nombre d’enfants que la jeune fille aura avec le jeune homme, en supposant que la distance affective qui les sépare soit inversement proportionnelle au trajet Paris-Las Vegas en classe économique.
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Langue de bois
Mes chers concitoyens
Moi, président de la République, il fera toujours beau, ni froid, ni chaud, ni sec, ni humide, vous n'aurez plus besoin de parapluie, ni de chapeau, les myopes n’auront plus besoin de lunettes, les personnes à audition réduite entendront sonner les alarmes, mais celles-ci ne sonneront plus, car les problèmes auront disparu, les non-voyants recouvreront la vue, les bus seront silencieux, l’essence sera gratuite, et surtout, surtout, les personnes en léger surpoids, les personnes en carence pondérale, les personnes en manque d'expérience, et les seniors, tout le monde s’aimera ! Votez pour moi !
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Argot
Ho dis donc, t’aurais vu aujourd’hui, dans le F, rue de Pigalle ! Ca valait le coup d’œil ! Un adipeux (dans le genre Beru) était en train de r'luquer les rotoplos d’une gisquette dans le genre ruskoff, tu vois l’tableau…Pour arrêter les frais, la mignonne a stoppé le bus en tirant la sonnette d’alarme. Soi-disant qu’elle avait retapé un gigolo dans la rue, un loufiat au galurin carrément craignosse,dans le genre robin des Bois, tu vois, avec l'intention de se maquer avec lui…Toujours est-il que, au coup d'frein, l' gros tas se r'trouve parterre, le blaire coincé entre les miches d’une matronne, des miches comacs, mon vieux.
Et vlà pas qu’i s’prend un coup d’pébroc sur la cafetière ! Chuis p’têt miro, mais j’me suis jamais autant marré, dis donc, derrière mes carreaux !
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Bilan comptable
Bien, alors, nous avons donc dit, pour l’incident de l’autobus F ... :
Une paire de plaquettes de freins, deux tympans percés, quinze dents cassées, un parapluie brisé, une fracture du crâne, un bras dans le plâtre, deux chevilles foulées et deux crises de tachycardie.
-Ah bon, on compte aussi la tachycardie ? Mais c’était juste deux amoureux...
-On m’a dit de faire le bilan, moi je fais le bilan.
Deux gouttes d’encre bleue dans l’argent blanc du ciel Un air vif encore, son tranchant qui s’émousse L’horizon qui s’ébroue comme après le sommeil Et qui repousse du dos la chape grise qui tousse.
Un filigrane d’or sur le bord du narcisse Des bourgeons tumescents aux branches de l’amandier Le forsythia se tend prêt à faire son caprice La mousse, cabochons d’émeraudes en collier.
Yeux fermés sur la souche, respire le promeneur Qui entend dans la sente, la joyeuse rumeur Rouge-gorge et mésanges entremêlent leurs chants.
C’est lui, le chenapan presque toujours farceur Le léger, le fringant qui chasse nos tristes heures Qui tintinnabule au seuil de Mars ? C’est le printemps !