L’effet papillon d’un livre miroir (Prudence Petitpas)
J’avais 19 ans à peine, j’aimais déjà lire et j’étais constamment en recherche de lecture nouvelle !
Ce jour là, maman m’avait envoyé faire une course dans une librairie papeterie … Il y avait du monde et je tournais mon regard ci et là, accroché par toutes ces couleurs, tous ces articles… j’adore toujours autant les librairies. Plusieurs livres me narguaient de leurs étagères et je m’approchais d’eux timidement, discrètement, sans pour autant perdre ma place dans la file d’attente. Et puis, l’un deux m’a littéralement happée, je l’ai pris en main, je l’ai feuilleté, j’en ai oublié la queue qui filait sans moi, je me suis poussée pour laisser passer les personnes qui s’impatientaient derrière.
Sur la couverture, une petite fille me regardait, et comme dans un miroir je lui souriais, elle n’était ni belle, ni vilaine, un petit air triste soulignait son visage, elle entourait ses bras de ses mains et semblait vraiment m’interpeller…
Le temps s’était arrêté et je n’avais d’yeux que pour ce livre ouvert dans mes mains qui m’agrippait de son titre : Toutes les petites filles meurent parce qu’elles grandissent… je sortais tout juste de l’adolescence, ou peut être y étais-je encore un peu… et ce titre m’attrapait le cœur et m’obligeait à lire le résumé, en tournant et retournant le volume dans mes mains. L’auteur m’était totalement inconnu, elle s’appelait Muriel Rigal et je n’avais encore rien lu d’elle. Le résumé parlait d’un homme qui au contact d’une petite fille sortait de la grisaille d’une vie trop bien réglée pour entrer dans le paradis perdu de l’enfance…L’homme réapprenait alors à aimer mais hélas, l’enfant grandissait, et la puberté mettait fin à toute cette transparence. Le monde des adultes opacifiait tout et cet homme incapable de supporter cette évidence tombait alors dans la folie… Sortant de ma torpeur à l’appel de la vendeuse qui me demandait si elle pouvait m’être utile, je posais le livre sur le comptoir, attrapais le bloc de papier demandé par ma mère et laissais noter les deux articles sur le compte de mes parents…
Voici comment j’ai pu me lancer dans la lecture d’un livre merveilleux où je me suis identifiée facilement à cette héroïne qui s’appelait Mouche… et où je me suis régalée de son histoire à tel point, que j’ai bien du relire ce livre une dizaine de fois.
Comme toutes les petites filles meurent parce qu’elles grandissent, je suis arrivée à l’âge adulte, je me suis mariée, et ce livre s’est retrouvé sur l’étagère de la bibliothèque familiale au milieu des autres sans plus d’intérêt qu’un simple ouvrage jusqu’à ce que…
Ma fille avait quinze ans quand elle l’a trouvé, elle était en pleine adolescence, ce passage entre l’enfance et l’adulte qui ne passe pas souvent inaperçu. Elle est tombée dans ce livre comme sa mère quelques années plutôt et ne l’a plus lâché. Je pense même qu’elle l’a relut encore plus souvent que moi. Elle se préparait à passer un baccalauréat littéraire dans l’année qui suivait et lorsqu’elle me fit lire le brouillon de son devoir de français, j’ai souri en voyant le sujet et surtout la manière dont elle l’avait traité :
« Un livre vous a plu, écrivez une lettre pour convaincre votre interlocuteur de le lire »… Bien sur elle avait choisi le livre de Muriel Rigal, celui là même qui nous avait toutes les deux tant apporté. Sa note de français : 15/20, pas mal du tout, surtout lorsqu’elle m’a expliqué que ne se rappelant plus le nom de l’auteur elle en avait inventé un pour son devoir, l’examinateur, lui, n’y a vu que du feu. Le livre magique ne lui en n’a pas voulu, puisque je pense que c’est bien grâce à lui que ma fille a eu son bac… Belle leçon de livre qui voyage de mère en fille et peut être qu’un jour sa propre fille tombera sur ce manuscrit et s’y regardera aussi comme dans un miroir.