La conscience de l’amour peut-elle naître de la chute d’un écureuil ? (Mamido)
"Si Paris a changé??!!!" était en train de s’exclamer Paul, à l’adresse d’Ariane, alors qu’ils se promenaient tous les deux, en forêt. C’était l’automne et leurs pas se frayaient un chemin bruissant dans l’épais tapis de feuilles mortes. Ariane y était enfoncée jusqu’aux genoux et peinait à avancer comme l’été lorsqu’elle marchait dans la mer, le long du rivage, en luttant contre les vagues.
Soudain, levant la tête, ils aperçurent un écureuil. Celui-ci, surpris dans sa course par les deux promeneurs, rata la branche qu’il voulait atteindre, celle à laquelle il tentait de raccrocher se cassa dans un bruit sec et le petit animal dégringola sous leurs yeux effarés, jusqu’au sol. Un instant étourdi par sa chute, la bestiole s’empressa de détaler et disparut dans une grande envolée de feuilles mortes.
Soulagés de le voir indemne, ils éclatèrent de rire. Les larmes aux yeux, Paul ôta ses petites lunettes rondes, pour les essuyer: " La dernière tempête a rendu les branches cassantes, cet écureuil vient d’en faire les frais".
Ils reprirent leur marche en silence...
Ariane devint songeuse, alors qu’ils regagnaient lentement la maison. Le soir tombait et la forêt s’emplissait de bruits que le noir amplifiait...
Pourvu que Paul retrouve son chemin dans l’espace touffu de ces broussailles qui se ressemblent toute : la pénombre qui s’installait ne la rassurait pas.
Alors qu’avec prudence, elle mettait ses pas dans ceux de son compagnon, elle se remémorait avec amusement la chute de l’écureuil et une intuition soudaine germa dans son esprit, comme une évidence: ce compagnon d’âme qu’elle cherchait depuis toujours et qui lui manquait tant, l’aurait-elle enfin trouvé?
Avec stupéfaction, elle regardait maintenant Paul qui avançait devant elle, le pas hésitant dans la lumière du jour qui déclinait rapidement. Brusquement, elle se demanda s’il pourrait être celui pour lequel elle sacrifierait sans l’ombre d’une hésitation sa liberté et son indépendance. Toutes ces interrogations faisaient naître un parfum dans sa bouche, un parfum acide qu’elle ne savait pas comment interpréter et qui se mêlait à l’odeur entêtante de l’humus et des feuilles pourrissantes.
Dans sa tête, les pensées se bousculaient, menaient une farandole incessante, au son de la musique assourdissante des idées contradictoires qui l’animaient et de son cœur qui battait la chamade.
Pour calmer le fleuve rugissant de ses sentiments, elle prit une longue inspiration qui fit se retourner Paul brusquement comme pour contrôler qu'elle parvenait bien à le suivre.
A ce moment, le vent mit en évidence sur sa joue une ombre mouvante qui rendit son expression étrangement familière et réconfortante.
Il prit la parole, et semblant vouloir lui faire partager les pensées qui l’occupaient, il déclara : "Quand je viens ici l’hiver, les gens du village m’appelle l’homme au manteau de cuir fauve."
Avec un sourire carnassier il rajouta: "si bien que l’autre jour, quand j’ai salué la vieille Mme Tourette à l’épicerie, elle m’a d’abord regardé d’un sale œil, puis, elle m’a dit: "Ah, c’est donc vous, M’sieur Crémieux, j’vous avais point remis sans votre habit de renard!!!"
A l’instant où il prononçait ces paroles anodines, planté là dans le crépuscule, elle sut avec certitude qu’elle venait de trouver celui qu’elle cherchait depuis si longtemps et qu’elle passerait avec lui le reste de son âge.
Et, encore aujourd’hui, vingt ans après, marchant au bras de son aimé, elle se souvient avec acuité de la lumière du jour qui tombait, du bruit du vent dans les branches, de l’odeur des feuilles mortes et… de la chute de l’écureuil !