Participation de Sebarjo
Les Marionnettes
Il avait plu tout le week-end. Une pluie presque tiède.
C'était octobre, période, non pas de l'été indien, en nos contrées, mais de la mousson bretonne qui prend à la gorge et engorge les fossés où, sous les feuilles mortes, se cachent châtaignes et cèpes.
Mais si dehors ça tombait, dedans ça montait.
La pression, l'ambiance.
Les enfants n'en pouvaient plus de rester enfermés. Comme cloîtrés. Et au remède de l'enfermement et de l'ennui, le DVD n'est pas une solution. Juste une illusion pour d'amères désillusions. Même ET, Bach to the future, Beethoven... et encore moins Amadeus n'y pourront rien ! Vous connaissez la musique... Passer les trois quart d'heure, ça monte, ça monte. On s'énerve et les cinq dernières minutes deviennent infernales !
J'ai donc dit à ET et à ses petits amis musiciens, to phone home (cinéma!) and go out !
Et au lieu de s'user les nerfs optiques et les nerfs tout court sur un écran, j'ai sorti les pastels, les crayons de couleurs, les feutres, l'encre de Chine, les plumes, les pinceaux et le papier canson des grandes occasions. Toute la petite famille s'est attablée et on a dessiné. J'ai lancé un thème : Les bonhommes. Un classique. Bien sûr, on avait le droit aux arbres, aux fleurs, aux voitures et aux maisons ! Mais uniquement pour le décor.
Chacun s'est alors concentré, occupé à noircir et à iriser ses quelques centimètres carrés de papier blanc, bercé par le clapotis de la pluie contre la porte-fenêtre du salon. Personnellement, j'étais pris en étau par une bise intestinale tenace et un crachin tout aussi tenace qui glougloutait dans mon estomac... Comme si le poulet rôti du dimanche midi piaulait encore !
Pour ne plus l'entendre, j'ai décidé de mettre de la musique. J'ai alors farfouillé dans mes vieux vinyls. C'est alors que j'ai re-découvert les 45 tours, planqués derrière ma trentaine de 33. Plus petits mais plus véloces sur les platines. Plus aériens.
J'ai zappé les années 80 et j'ai pioché quelques sixties. Et pour rigoler, je les ai fait tourner chacun à leur tour. Toutes les six à dix minutes, je me levais pour changer de face ou de disque. Comme quoi, il est possible de marcher même lorsqu'il pleut.
les enfants ont tout de suite apprécié ces vieilles chanson et les craquements du diamant sur les spirales des microsillons qui accompagnent joliment la langueur automnale.
J'ai d'abord passé les quelques titres anglo-saxons, vestiges de ma maigre collection : Eight days a week, We love you, Nights in white satin, Massachussets...
Et puis je me suis lâché ! J'ai sorti quelques chanteurs français, presque oubliés. Adamo et Sa nuit, Guy Mardel qui N'avoue jamais, Leny Escudero et sa Ballade à Sylvie, Claude François et ses Même si tu revenais, Jean Ferrat et Sa montagne, Eddy Mitchell et son Good bye prêcheur...
Et puis sont arrivées Les Marionnettes de Christophe...
Tout s'est alors enchaîné. On s'est déchaîné.
Oui, sans préambule ni concertation, on s'est tous mis à chanter à tue-tête comme un seul choeur vibrato-wah wah. Et en plus de bonshommes en papier, on a sorti de la ficelle, du carton, de la colle... Nos bonshommes ont pris forme, car tout en chantant, on les a transformés en marionnettes.
Il avait plu tout le week-end mais comme ce week-end fut joyeux ! Ce dimanche, Christophe nous avait fait tourné la tête des dizaines de fois avec ces marionnettes !
Jusqu'au moment où, au-dessus de nos têtes, on a vu suspendue à son fil, comme une marionnette, une araignée qui descendait du plafond... Et nous ? Quels fils, quel marionnettiste au-dessus de nos têtes ?
...
Mais loin de perdre le fil et notre feeling, sans se défiler, on a recommencé de plus belle.
J'ai fini par empoigner ma guitare chantant jusqu'au soir :