L'idole (Célestine)
Il faisait une chaleur à crever. Nous attendions, Brigitte et moi, depuis des heures, en plein soleil, les lèvres sèches de soif et de fébrilité. Il y avait des fleurs dans nos cheveux et nos jeunes corps vibraient sous la soie indienne.
La file d'attente n'en finissait pas. Mais rien n'aurait pu nous atteindre. Nos quinze ans avaient triomphé de nos parents, de leurs appréhensions, de leurs peurs de la drogue, des garçons, des mauvaises rencontres. Nous avions nos billets « for heaven ».
Nous pénétrâmes enfin dans le chaudron incandescent, le cœur battant. Un incroyable couvercle de fumée âcre flottait au-dessus de la foule en délire. Des substances plus ou moins licites qui piquaient les yeux et enrobaient nos pensées d'un voile flou. Enfin, quand je dis nos pensées...le peu de raison qui nous restait s'avanouit dans la rumeur sourde de ce creuset infernal.
La tension était palpable. La scène restait désespérément vide. Les énormes enceintes grésillaient dans l'attente. Des filles se pâmaient au premier rang, étourdies de leur douce folie et de longues heures de jeûne forcé.
Une brume artificielle tenace et opaque avait investi les moindres interstices de l'espace. Brigitte se ferait sûrement une élongation des mollets à force de se hisser sur la pointe des pieds. Moi, j'appréciai pour la première fois mon mètre soixante-quinze qui me permettait d'apercevoir les projecteurs sous lesquels Il ne tarderait plus à apparaître.
Les sifflets se firent plus stridents, la rumeurs enfla, un tremblement agita les gradins derrière nous. Des milliers de pieds frappaient le sol en cadence comme des marteaux-pilons. L'air s'emplit d'adrénaline.
Et soudain, au paroxysme de la surexcitation, les premières notes de guitare s'élevèrent...
Il apparut, mythique, dans son halo de brouillard qui le nimbait d'une sorte de divine aura.
Ce fut la seule fois que je vis Mick Jagger.