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Le défi du samedi
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4 août 2012

Initiation et mythe (Anémone)

Il réparait la serrure et le bas de la porte principale, endommagé à coups de pieds.

Nous l'avions échappé belle. Des  malfrats avaient tenté de forcer l'entrée.
Il avait frappé chez moi, qui habitais le rez-de-chaussée (en réalité le sous-sol), pour savoir si j'étais au courant des déprédations, et sinon m'en informer. Et demander si j'avais de la colle à bois. J'en avais.
Nous habitions tous deux cette maison de maître, de même qu'une autre locataire qui demeurait au premier, ou plus exactement au bel-étage. Cependant nous ne nous étions presque jamais rencontrés. Lui habitait sous le toit, dans les anciennes chambres de bonnes. Moi dans les cuisines-caves. Nous avions donc en commun de résider dans les extrémités du bâtiment consacrées au petit personnel. L'autre locataire n'était presque jamais là.
Je devais m'apercevoir par la suite que, d'un naturel anxieux, il était tout sauf calme.
Mais pour lors, avec une force tranquille, il réparait patiemment les dégâts. Je lui passais les outils.
Dans le même temps je respirais l'odeur de cuir de sa veste (un 15 février, se tenir sur le seuil ne pouvait se faire en petite tenue). Et tout mon être se tendait vers la formidable énergie de vie qui émanait de lui, de ses mains fortes, de la douceur de sa voix.
D'un seul coup, je compris que je vivais avec toute l'intensité requise un moment grave et exceptionnel. Le franchissement d'un passage. Une rencontre initiatique avec une âme proche de la mienne dont j'avais peut-être été, dans un indéfini passé, la complice privilégiée. Nous étions en train de nous reconnaître. En tout cas moi, je le reconnaissais.
Ce fut le début d'une période où je passai soudain de nombreux moments assise sur le seuil Comme entre deux mondes. Une époque où je pénétrais avec fulgurance mais pérennité un univers qui ignorait de façon absolue routine et banalité. J'étais de partout. Entre le haut et le bas. Entrée dans une autre dimension. J'étais une héroïne. Il était un héros. Vu qu'il me parlait souvent des Etats-Unis, je me propulsais beaucoup en Amérique.
Le vent qui agitait les arbres devant la maison, l'éclairage public qui rendait en nocturne le feuillage phosphorescent, tout était devenu féérique. Irréel presque. Et en même temps d'une colossale densité. J'avais acquis la faculté de me téléporter.
Dans la foulée je perdis ma clé de rue. Il me prêta la sienne pour que j'aille en faire refaire une.
Un soir qu'il était de sortie en ville, d'autres malfrats revinrent. Ils allaient entrer comme chez eux sans forcer la serrure, car ils lui avaient volé son trousseau. Moi je ne fermais plus depuis belle lurette la porte de mon appartement, vivant comme un prolongement de mon logis le seuil et les escaliers. J'entendis grincer les gonds de l'entrée, pensant que c'était lui, lorsque la police est arrivée, qu'il avait eu la miraculeuse présence d'esprit d'appeler sitôt agressé. Je n'ose penser à ce qui me serait sinon arrivé. Pour toute sécurité, je me remis à verrouiller ma porte avant de me coucher.
Mais je continuai, de jour comme de nuit, à traverser les mythes. A voyager avec les dieux et les demi-dieux. Avec le même bonheur, je m'asseyais devant mon habitation en Arizona, arpentais des propriétés cossues de Toscane ou marchais sur des sentiers rocailleux et chauds de Crète riches de racines et de parfums de thym. Le coeur transporté d'un manière jusque là inconnue. Et la tête bourdonnante de bruits d'abeilles.
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Commentaires
D
Oui oui, j'avais vu dans les commentaires, c'est pour ça que j'ai mis "éveillé", parce que c'est en même temps raconté comme un rêve.
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A
@ Djoe l'indien: Ah mais ce n'est pas un rêve, ça m'est arrivé!
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D
Ah, ben moi non plus je ne ferme jamais ma porte à clef !<br /> <br /> Bon, c'est une porte sans poignée extérieure (je hais ce genre de porte, trop peur d'être enfermé dehors si je sors sans mes clefs...).<br /> <br /> Un joli rêve éveillé bien conté :-)
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A
@ venise: Je partage volontiers avec toi la magie de cette rencontre et ne suis pas surprise que tu en aimes le caractère entre réalité et rêve. Merci d'être passée.
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A
@ Zigmund: Merci de m'avoir laissé ton commentaire bien que tu aies vu cela comme difficile après Walrus. Ton regard sur mon texte me fait grand plaisir ;))
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A
@ Walrus: Me rebiffer contre la banalité, peut-être...
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A
@ katyL: Ravie de t'avoir surprise. Si le texte est baroque, il faut croire que ma vie de l'époque l'a été aussi, puisque tout est vrai. Bisous!
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A
@ MAP: Grand merci MAP. Je sens que comme toujours tu as parfaitement saisi le sens et l'ambiance donnés au récit. Tes mots en témoignent et cela me touche beaucoup. Bisous!
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A
@ joye: Merci beaucoup d'avoir apprécié. Et contente que tu aies pu apprendre une expression. Mais évite d'employer "pour lors" dans la conversation courante. C'est une expression vieillie qui n'a plus que valeur littéraire. Bisous.
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V
des rencontres comme je les aime!!
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Z
(comment laisser un comm après celui du sieur walrus ???) j'aime ce voyage imaginaire et initiatique
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W
La cave se rebiffe ?
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K
jolie expression.<br /> <br /> comme habiter dans les cuisines-caves (amusant)<br /> <br /> Pour la colle à bois prendre " prise rapide alors"!!<br /> <br /> récit un peu baroque et surprenant<br /> <br /> bisoussssssssssssssss et bon weekend à toi<br /> <br /> katyL
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M
Entre cave et toit, belle rencontre initiatique programmée sans doute "dans un indéfini passé" ...<br /> <br /> "Entrée dans une autre dimension" tu nous fais voyager magnifiquement en ta compagnie à travers les mythes ! Comment ne pas être transportés ?
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J
C'est une très belle histoire, et en prime, tu m'apprends la belle expression "pour lors" que je ne connaissais pas. Merci bis, alors, premièrement pour le plaisir de te lire et encore pour le plaisir d'apprendre.
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