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21 juillet 2012

Miroir, gentil miroir!!!‏ (Mamido)

Le miroir de l’impasse de la soif.

Mamido203


C’était la veuve d’un capitaine au long cours, qui passait en mer le plus clair de son temps et ne rentrait chez lui que pour y rêver et y préparer sa prochaine campagne.

Jadis, durant son enfance, son père avait imaginé pour sa fille un tout autre chemin, jonché de roses. Il la rêvait mariée à un homme de bien, influent et riche. Il la voyait vivre avec insouciance, dans le confort cossu d’une magnifique villa, au bord de la mer. Dans le sud de la France, peut-être… En tout cas, dans une région où la chaleur du soleil baignait le paysage à longueur d’année.

Au lieu de cela, elle avait épousé un modeste capitaine de la marine marchande et vivait dans la ruelle obscure d’une petite ville, battue par des vents marins humides et froids les trois-quarts du temps. Elle demeurait dans la modeste maison de pierres grises héritée de son défunt mari, parcourue de courants d’airs glacés qui l’obligeaient à faire du feu été comme hiver. Sans parler des trombes d’eau, giclant sur ses carreaux presque tous les jours. Un vrai déluge !  Elle ne sortait que très rarement, principalement le matin de bonne heure, lorsque la marée était basse et découvrait les rochers. Elle se rendait alors sur la grève pour y dénicher des coquillages.

Elle passait le reste de son temps dans le salon de sa vieille maison, avec pour seule compagnie, un chat gris, taciturne et sauvage, rebelle aux caresses. Tout en brodant, elle regardait par la fenêtre. Elle avait vue sur le port et pouvait apercevoir les mats des navires qui y étaient ancrés et les voiles gonflées de ceux qui rentraient et sortaient. Avant, du même endroit, elle avait guetté, le cœur rempli d’allégresse, le retour annoncé du capitaine. Maintenant, c’est d’un œil distrait qu’elle suivait au-dessus du va-et-vient des bateaux, le vol criard des goélands.

Mais elle n’aimait rien tant qu’observer les scènes de famille qui se déroulaient sous ses fenêtres. Aujourd’hui, elle surveillait les allées et venues de ses voisins d’en face qui quittaient une masure de briques rouges, toute délabrée. Un départ  définitif si elle en croyait les ballots de linge et de vaisselle que l’homme empilait dans une petite charrette à bras. Pour finir, il y fit grimper sa femme portant, comme un précieux fardeau, un enfant dans une corbeille à linge en osier. Celui-ci était emmitouflé sous plusieurs couches de couverture d’où seul son visage ravissant émergeait.  Il vint à l’esprit de la veuve, alors qu’elle suivait du regard la charrette jusqu’à ce qu’elle disparaisse au coin de la rue, qu’elle n’avait jamais eu d’enfant avec le capitaine et que maintenant il était définitivement trop tard.
Pour éviter de s’enfermer dans des regrets inutiles, elle reporta son attention sur les bruits qui montaient, juste devant chez elle. Elle entendait des litanies de mendiants, au pied de son immeuble. D’un ton geignard, ils réclamaient la charité et, visiblement, les passants semblaient se laisser apitoyer par leurs plaintes.
Amusée, elle pensa que c’était parce qu’ils n’assistaient pas quotidiennement au départ de ceux-ci, à la tombée de la nuit. Ils ne voyaient jamais le paralytique se dresser sur ses deux jambes et partir en marchant, en dansant même, quelquefois, si la journée avait été bonne. Ni le muet interpeler l’aveugle à grands cris pour aller boire en sa compagnie l’argent qu’ils avaient soutiré aux gens durant la journée. Et encore moins celui-ci le suivre, d’un pas décidé, sans lunettes et sans canne. Leur entrée dans l’estaminet faisait luire la vitre de la porte d’un éclair dans l’azur du ciel, créé par le soleil couchant.

C’est d’ailleurs souvent à cette heure de la journée, entre chien et loup, alors qu’elle abandonnait son poste face à la rue désertée, qu’il remontait à la mémoire de la veuve des souvenirs de sa vie d’avant, du temps du capitaine. Elle se remémorait les longues soirées devant la cheminée durant lesquelles, blottie contre son épaule, elle l’écoutait lui raconter ses voyages et lui promettre de l’emmener un jour.
Sans cesse, lui revenait à l’esprit, la dernière journée qu’il avait passé à la maison, avant de retourner en mer. Il ne s’était produit aucun évènement marquant, ce jour-là, sinon que, boudeuse à l’idée de sa longue absence, elle s’était enfermée dans le silence et l’avait laissé partir sans un adieu.
Elle se souvenait que pour tenter de l’amadouer et de la consoler, mais en vain, il avait promis de lui ramener ce grand miroir, à l’entourage doré, dont il lui avait si souvent parlé et qui lui faisait envie. Il avait repéré celui-ci dans une petite boutique de l’impasse de la soif, à Santiago… Elle s’était contentée alors de lui sourire tristement et de soupirer, sans un mot. Il était parti, elle avait couru derrière lui, mais trop tard.

Et il n’était jamais revenu. On n’avait jamais retrouvé trace ni du navire, ni de son équipage, ni de sa cargaison, tous disparus lors du voyage du retour.
Maintenant, pendant ses longues nuits d’insomnie, elle se plaisait à croire que le miroir était intact, au fond de l’eau et qu’il se trouvait, peut-être, quelque sirène pour venir s’y mirer à sa place et, qui sait, tenir compagnie au fantôme du capitaine.


Rive de Gier, le 3 Décembre 2011

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Commentaires
M
Je dis comme Célestine ! Triste mais belle histoire et l'illustration est vraiment très bien trouvée ! L'image de la sirène et du fantôme du Capitaine est très jolie !
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C
C'est très beau, j'ai beaucoup aimé. Merci pour cette belle histoire triste.
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S
Tout comme EVP !<br /> <br /> Que de regrets ! Ces paroles qu'elle n'a pas dites et ce baiser qu'elle n'a pas donné la poursuivront longtemps, très longtemps.<br /> <br /> <br /> <br /> Ils viendront se refléter, sans cesse dans son miroir, jusqu'à ce qu'il se casse... dans son dernier souffle.
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Z
belle et triste histoire qui aoutit à ce miroir englouti
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K
encore des pré-raphaélites!! encore eux!!<br /> <br /> j'aime beaucoup l'image<br /> <br /> et le texte<br /> <br /> bon dimanche de soleil<br /> <br /> katyL
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M
Pour Joye: le style est sans doute induit par les illustrations, les mots et les expressions choisis par moi dans "Le nouveau nouveau magasin d'écriture" d'Hubert Haddad et qui m'ont fourni l'inspiration de ce texte. Je puise de temps en temps dans les 2 livres de cet auteur des supports à mon imaginaire.<br /> <br /> A tous, merci de vos commentaires.
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V
La mer garde les hommes mais livre ses secrètes légendes à ceux et celles qui savent l'écouter...
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A
Classique histoire de femme de marin peut-être, mais magistralement contée. Et la chute fait place à l'imaginaire d'une très jolie manière. Impasse de la soif... Il faudrait boire toute l'eau de la mer pour le retrouver, ce miroir-là. Seul le reflet de l'homme qu'elle aimait existe encore dans la mémoire de cette femme, qui avait tant soif de la présence de son capitaine de mari, sûrement plus que du miroir. <br /> <br /> En attendant, tu as réussi à m' emmener au fond des mers, Mamido, où je me mire avec délices dans le grand miroir doré, transformée en sirène.
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D
Pénélope ne reverra jamais Ulysse, c'est triste...<br /> <br /> Cruel destin de la femme du marin.<br /> <br /> Et que ce soit si bien raconté n'y change rien.
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J
Cela se lit comme certains romans du XIXe siècle, un style étudié qu'on ne retrouve plus guère dans la littérature contemporaine.
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E
Souvenirs un peu tristes de ce qu'on a pas dit. Regrets d'un baiser qu'on a pas donné...
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W
"Les souvenirs et les regrets aussi..." comme dit la chanson.
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V
sans miroir pourrait on vivre?
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