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Le défi du samedi
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21 juillet 2012

LE REFLET (Lorraine)

En passant devant le miroir, j’y ai jeté un coup d’œil nonchalant. Il reflétait un morceau de paysage. Ou peut-être est-ce moi qui l’ai cru? Je ne sais pas vraiment. Mais je me suis revu deux ans plus tôt, à ma place habituelle.

C’est l’été. Les peupliers du chemin de halage éclaboussent le canal de leur vertige vert. Sur l’autre berge, assis dans l’herbe sous mon chapeau de paille, je suis le vieil homme quotidien , qui s’en vient tuer le temps. Ici, il fait calme. Quelquefois du haut d'un chaland , lourd, tranquille, on me fait « Bonjour », un signe de main, un sourire vague, le chaland passe, il est passé..

En face, un vélo pédale poussé par le vent. Les cheveux du garçon s’emmêlent,  je vois qu’il est blond, costaud, sans doute ce que les filles appellent aujourd’hui « un beau mec ». La rectitude du canal me fait mal aux yeux, comme le soleil frisant qui étincelle. Et soudain je la vois : une silhouette fine surgie je ne sais d’où, elle court, elle se presse, elle fait des gestes et elle crie, je crois. Oui, elle crie. Personne ne répond.
Le chemin de halage la happe, semble la tirer comme on tire un fardeau, le garçon s’est retourné, elle écarte très haut ses bras frêles, agite comme des oiseaux ses petites mains vides.

Il pédale. Et, j’en jurerais, elle pleure. Il fuit, il s’enfuit, c’est évident, je le vois à son allure qui s’accélère et à la pauvrette qui brusquement, s’arrête, désemparée, désespérée, peut-être ?

J’aurais voulu lui dire que le chagrin ira en s’étiolant, que les larmes perdues ne le feront pas revenir. J’ai fui ainsi, autrefois, sans un mot. J’ai laissé une femme belle et sensible, assez fière pour ne pas m’assaillir ensuite de vains appels. J’étais jeune, j’avais peur de son ascendant, de sa gaîté, de sa force. Plus tard, six ans après, je suis revenu. Elle était plus épanouie encore, elle m’a regardée avec une indifférence qui m’a pétrifié. Moi, je portais son souvenir. Elle, m’avait banni à jamais.

De l’autre côté du canal, la jeune fille a fait demi-tour. Pour elle commence la saison de l’oubli.

Je tourne les yeux vers le miroir. Il ne reflète que moi…

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Commentaires
M
J'aime ce "Je suis le vieil homme quotidien" si évocateur ! "le soleil frisant qui étincelle"<br /> <br /> "agite comme des oiseaux ses petites mains vides." <br /> <br /> Tu as su jouer du miroir pour nous renvoyer les images de deux vies semblables ! Excellent chère Lorraine !
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L
"La vie des uns et des autres n'est bien souvent que le miroir de notre propre vie". Si l'on y regarde de près, oui, en effet. Un miroir un peu différent, un peu plus coloré ou moins, un peu plus brisé peut-être... Sinon comment le vieil homme et la jeune fille vivraient-ils, à peu de chose près, la même histoire? (sourire)
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L
Nous sommes souvent désarmés devant le chagrin de nos proches. Les mots nous manquent. Mais ils savent lire dans le coeur, Zigmund, et aussi parfois dans nos silences.
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L
La jeune fille, le narrateur, ont tous les deux souffert d'amour. Le reflet du miroir m'a permis de les réunir dans cette "longue cicatrisation de l'oubli", comme tu dis si justement. Merci à toi.
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L
L'expérience de la vie ressuscite des souvenirs, des images, des personnages qu'on croyait oubliés et qui surgissent au moment voulu pour alimenter une consigne! Merci pour ton appréciation, Anémone, "Samedidéfi" est un très agréable lieu de rencontre!
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L
Ce sont des miroirs primaires; heureusement, nous fréquentons les miroirs qui se souviennent, qui racontent, qui chantent quelquefois, ou qui pleurent. Cela arrive!...
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L
L'image proposée par MAP m'a aussitôt évoqué un amour triste...Merci, Vegas, pour ta visite amicale
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L
Les drames ne choisissent ni le moment, ni (souvent) le lieu! Peut-être la jeune fille souffrira-t-elle un peu moins longtemps grâce au lent voyage du canal, à son rythme, à son ciel?...Je ne sais pas. Mais je te dis merci pour ton commentaire vraiment très gentil, EVP
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L
Les promenades le long d'un canal apaisent les chagrins et les tensions. Peut-être la rectitude des eaux ou les peupliers à l'infini? Quoi qu'il en soit, cela me fait plaisir que ce décor t'ait apporté sa fraîcheur et son instant de repos, chère,Joye.
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L
Le narrateur a de l'expérience, il sait que les chagrins s'effacent peu à peu. Même s'ils sont très lourds à porter.
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L
Merci pour ce chaland qui m'a emportée très loin...vraiment très loin!<br /> <br /> .
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D
Moi aussi j'ai beaucoup aimé "Les peupliers du chemin de halage éclaboussent le canal de leur vertige vert". Mince, je serais presque jaloux de ne pas l'avoir trouvé, dit !<br /> <br /> <br /> <br /> Revoir ses erreurs dans le comportements des autres, et ne rien pouvoir y faire. Et puis à quoi bon de toute façon.<br /> <br /> Mais oui, finalement, la vie des uns et des autres n'est bien souvent que le miroir de notre propre vie...<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> @walrus,<br /> <br /> moi c'est à celle-ci que j'ai pensé :-)<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=3ZT65UHH9oE
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Z
j'aime cette histoire qui cadre avec la mélancolie du paysage reflété. j'aurais aimé avoir eu ces mots pour consoler mes fils après une séparation....
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S
Beau miroir qui transforme l'image réelle de la fille qui court après son beau cycliste en une image réfléchie d'une auteur incarnée en homme regrettant ses erreurs passées.<br /> <br /> <br /> <br /> Très belle histoire, pleine de sensibilité et qui nous laisse méditer sur les douleurs de la séparation et de la longue cicatrisation de l'oubli.
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A
Belles images que celles de ce chemin de halage, du jeune homme à vélo qui fuit dans le vent, de la jeune fille qui doit être forte... Triste histoire qui sonne si juste: l'amour qui fait peur, la vitalité de l'autre qui effraie.<br /> <br /> On sent dans ce récit toute ta sensibilité et ton expérience de la vie, chère Lorraine. Et ton talent pour l'écriture bien sûr. Heureuse de te retrouver ici. Meilleures pensées à toi.
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V
avec les miroir qui n'ont aucune mémoire on ne vit que dans l'instant présent
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V
Une belle et triste histoire dans un décor qui ressemble au mien... j'aime beaucoup
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E
Comme c'est beau le vertige vert des peupliers ( Monet sait bien de quoi tu parles) dans ce décor si calme si apaisant, tu poses doucement un drame éternel...L'amant qui s'enfuit et tu le rattaches au personnage qui observe. C'est très très réussi, J'aime vraiment beaucoup.
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J
C'est un texte intéressant, et j'admire ta façon de te laisser inspirer par le reflet dans le miroir. Tu donnes une vie particulière à l'image offerte par MAP. Dans la première partie, et ta description, je me sentais dans un lieu frais et reposant, un monde loin de ma portée, mais un auquel je peux m'approcher, grâce à tes mots.
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K
et regrets qui assaillent le miroir et tes pensées<br /> <br /> cela arrive à tout le monde ! mais vite reprendre le dessus comme tu le fais ( comme tu l'écris)<br /> <br /> il y a cependant des chagrins bien persistants<br /> <br /> <br /> <br /> gros bisous chère Lorraine<br /> <br /> katyL
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W
Je sais que c'est un brin hors sujet, mais quand même...<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=YpDHDINZNy4
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