La brocante (Venise)
Il faut à tout prix que je retrouve ce petit coin de brocante, pour lequel je garde un profond attachement.
Je me souviens, des chiens qui aboyaient sur les péniches et du vacarme des guinguettes, entre deux bras d’eau.
J’avais à peine treize ans, quand je pénétrais pour la première fois dans cet endroit où flottait dans l’air une odeur de temps qui passe.
Pour échapper à la barbarie de l’éducation, je venais ici prendre quelques enseignements.
La dame qui m’accueillait, tricotait de minuscules chaussons et brodait des bavettes roses.
J’y avais trouvé une collection de tout ce qui venait de la mer : coquillages, oursins des sables, dents de requin, verres polis, hameçons rouillés.
Il y avait même un mousquet dont on disait que les Anglais l’avaient perdu en même temps que la révolution américaine.
La petite boutique était remplie de cette collection de coquillages si bien que quand le vent soufflait et ballotait la petite maison, les coquillages s’entrechoquaient doucement sur les étagères comme si ils s’applaudissaient.
Mais ce qui retenait mon attention ce fut cet exemplaire détrempé du voyage de Gulliver.
Je ramassais la première fois le livre comme s’il s’agissait de la carcasse d’un animal marin.
Les pages étaient décolorées et gondolées. Seule la première moitié du livre subsistait, le reste avait disparu.
La vérité, c’est que j’ai dû lire ici ce livre des centaines de fois car c’était un livre fort étrange que je lisais à haute voix devant la propriétaire de la brocante. Et nous riions ensemble quand je prononçais les noms des îles et des êtres qui y vivaient, comme :
Glussdubdibb !!!
C’était le printemps, les jonquilles étaient sorties et l’odeur des sycomores et des paillis frais flottaient dans l’air.
Avec l’âge, en fermant les yeux, je vois les coquillages et le vieux livre qui m’attends. Je reviendrai bien dés qu’un nouveau vent se lèvera.