Le premier objet que je regarde ... (Lorraine)
Comme j’habite en face du square, forcément mes métamorphoses quotidiennes ont un petit air de flânerie. Jugez-en: j’ai été le banc juste à l’entrée, la grille qu’on ferme le soir et même le nouveau costume du gardien! Je lui donnais une folle allure avec mes boutons dorés et mes galons aux poignets. Il m’ajustait, me tirait dessus pour éviter le moindre froissement, tapotait délicatement le pli de mon pantalon, époussetait mes revers. J’étais un vrai dandy.
Nous nous sommes pavanés toute la journée mais le lendemain j’ai, par inadvertance, levé les yeux vers la capeline de Mademoiselle Zaza, une gentille petite qui précède la mode au lieu de la suivre. Ca n’a pas raté, en deux temps trois mouvements j’étais sur la tête de Zaza, qui avait ajouté au bord ajouré de la paille écrue un “suivez-moi-jeune-homme” comme au temps de sa grand’mère. Ce succès! Les garçons n’arrêtaient pas de me tripoter (pas Zaza, moi), pensez donc ce flot de rubans qui volait gracieusement derrière elle à chaque pas me valait des oeillades coquines, bouffonnes, outrées, méprisantes selon qui nous croisions.
Zaza s’en moquait; ele m’a jeté en l’air pour rire, Armand m’a attrapé et j’ai fait le ballon quelques minutes sous les poings avisés d’Armand et de Julien. Zaza éait un peu fâchée. Quand elle m’a récupéré, ele m’a serré amoureusement contre sa poitrine et blotti, je m’y suis endormi. J’avais besoin de repos. Alors, aujourd’hui, en sortant de la maison, j’ai regardé tout net le parasol orange du marchand de glaces.
Et je vais dormir, étendu sur ma toile, dormir et bronzer jusqu’au soir, tandis que sous moi les enfants achèteront “une à la vanille”, “une à la pistache”, “chocolat et vanille, M’sieur”....en tendant leurs sous dans leurs petites mains un peu sales.