"Et vous, quelle est votre Madeleine ?" (Pivoine)
J’ai d’abord pensé que nous avons plusieurs madeleines. Parce que nous avons plusieurs périodes dans notre vie. Surtout, nous avons des madeleines de différentes sortes. Puis, je me suis dit que ce n’était pas tant la madeleine qui est intéressante que ce qu’elle recouvre. Comme chacun sait, elle est intimement associée au processus de mémoire involontaire.
Et de ça, je peux parler. Je dirais même que de ça, j’ai envie de parler.
J’ai une bonne mémoire « affective ». Selon les époques, je peux replonger totalement dans un climat, dans une atmosphère, j’ai des flashes aussi, des tableaux qui se sont fixés instantanément dans ma mémoire. Et c’est vrai que parfois, un élément, de type « madeleine », y est associé : une musique, une odeur, le goût d’un aliment. C’est vrai que si j’écoute « Mouldy Old Dough », je revis les soirées dansantes du lycée, les ribambelles de filles et de garçons et l’année 1973.
C’est vrai qu’un jour, au musée du tram, à Bruxelles, j’ai profondément aspiré l’odeur d’un morceau d’anthracite. C’est vrai que ça m’a rappelé les trains et les gares de mes vacances, en Ardenne, que ce soit au bord de l’Ourthe ou sur la route de l’Amblève.
C’est vrai aussi que je garde, dans un placard de ma cuisine, le saladier dans lequel, à la maison, nous faisions les pâtes à quatre-quarts, gaufres ou « bodding », et que je meurs d’envie en ce moment de faire des gaufres, rien que pour retrouver l’atmosphère de la maison… Voire de me faire ce vrai « bodding » bruxellois, épaisse maçonnerie de pain humecté pressé, additionné d’œufs, de raisins ou de pommes et de rhum et cuit au four. Oh ! Ca, ça serait le bonheur !
Ceci est bien la preuve qu’il n’y a pas une, mais des madeleines. Prétendre que le morceau « Mouldy Old Dough » me rappelle « tout » le Lycée, « ville et jardins », serait exagéré, il y a eu tant d’autres morceaux de musique ! A contrario, prétendre que cette chanson me rappelle mes examens de passage en math ou en physique-chimie, serait mentir. La mémoire est sélective et je n’ai pas envie de me souvenir de tout, même si Proust, lui, se souvenait de tout. Peut-être se souvient-il de tout, dans « Du côté de chez Swann », mais peut-être ne parle-t-il pas non plus de certains aspects d’Illiers-Combray.
Et puis, je vais devoir m’arrêter là dans ma réflexion sur la madeleine proustienne et le mécanisme de mémoire involontaire. Mais c’est une thématique qui me plaît. Je dirais même qu’elle est au cœur de mon présent, puisque –succombant à une très vieille envie- je suis un atelier de récit de vie et donc, reste sensible aux multiples petits incitants à la mémoire …