Matricaire discoïde (Tilleul)
En été, l’entretien du jardin prend la plupart de mon temps. L’an dernier, alors que le soleil brille après quelques jours de pluie, un sarclage est nécessaire. Chaussée de bottes, tenant en main l’outil adéquat, je me penche et… tout d’un coup, une odeur particulière me transporte cinquante ans en arrière...
Je me revois assise sur le seuil en pierre bleue de la maison de mon petit voisin avec qui je partage tous mes jeux. Il fait beau, la pierre est chaude, je suis bien. Dans le verger, les linges mis à sécher sur le fil dansent au vent léger. La barrière fermée du jardin potager interdit aux poules en liberté d’y entrer mais ne nous empêche pas d’aller de temps en temps croquer une jeune carotte ou une feuille d’oseille… Papa est sans doute parti en forêt, maman est peut-être derrière sa machine à coudre, occupée à nous confectionner une jolie robe ? Mon souvenir reste vague, seule une impression d’immense bien-être, de jours heureux, a marqué ma mémoire…
Dans la terre battue du sentier piétiné, poussent quelques mauvaises herbes, des petites boules jaunes que l’on cueille tantôt pour simplement les écraser entre nos doigts, tantôt les déposer dans une assiette de dînette pour le repas d’une poupée…
Chaussée de bottes, tenant en main l’outil adéquat, je me penche et… je n’ai pas arraché cette plante qui me rappelle de si bons souvenirs…
« L’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer… à porter sans fléchir… l’édifice immense du souvenir » (M.Proust)