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3 mars 2012

Souvenirs, souvenirs… (Mamido)

Mamido

Chimène et Rodrigue (acte III, scène 4)
« Va, je ne te hais point… »


Aux vacances de printemps, l’année de mes quatorze ans, je suis partie avec mes parents dans un châlet-hôtel à St Jean d’Arves, en Savoie.
C’était une maison chaleureuse où l’on accueillait des groupes de jeunes et des familles qui désiraient passer des séjours peu onéreux. Comme dans les gîtes d’étapes, on y dormait en dortoir, les sanitaires étaient communs et on mangeait, assis sur des bancs autour de grandes tablées qui se remplissaient au fur et à mesure de l’arrivée des convives.
Il régnait dans ce lieu une atmosphère joyeuse et bon enfant cultivée par des hôtes conviviaux,  à la bonne humeur communicative.
Le soir, on veillait autour de jeux de société. Il y avait toujours quelqu’un pour sortir un instrument de musique et entonner quelques chants repris par l’assemblée. Des moments inoubliables pour l’adolescente que j’étais à l’époque.

Nous avions pour voisins de chambrée deux garçons d’une quarantaine d’années. L’un était libraire, l’autre comédien.
Le premier ayant remarqué ma passion pour la lecture, alimenta celle-ci en m’incitant à découvrir des auteurs « au-dessus de mon âge ». C’est lui qui le premier me poussa dans le monde des lecteurs adultes. Il m’apprit l’exigence  et l’éclectisme en littérature. Grâce à nos discussions, je parvins à puiser les idées dans les livres et à me forger mes propres opinions.
Le second me fit travailler le rôle de Chimène dans la scène quatre de l’acte III du Cid de Corneille que je devais apprendre par cœur pour le réciter en classe à la rentrée (et oui, à la fin des années soixante, on pratiquait encore ce genre d’exercices en troisième, au collège !). Il avait aménagé, dans un recoin d’un petit salon de l’hôtel un endroit pour répéter : un fauteuil, un guéridon, un lampadaire, devant un fond de rideau cramoisi tiré sur une fenêtre donnant sur la montagne, à l’arrière du bâtiment.

Dans ce décor feutré, il m’apprit à me tenir correctement, à placer ma voix, la faire porter loin, avec assurance, et sans la fatiguer. Inlassablement, tenant lui-même le rôle de Rodrigue, il me faisait répéter, m’enseignant comment scander les vers pour les faire sonner. Il me donna des trucs pour comprendre et mémoriser ce texte, obscur  et difficile pour l’ado que j’étais. Ce travailleur acharné, professeur exigeant me fit appréhender toute la pénibilité laborieuse qui se dissimule derrière la flamboyance du métier de comédien. Très vite j’ai compris que je n’étais pas douée ni très motivée pour ce jeu-là. Non, je ne deviendrais pas une Isabelle Adjani, et même si j’étais née la même année et le même mois qu’elle, c’est tout ce que nous aurions jamais en commun !

Ces deux hommes intelligents, charmants et cultivés, que je n’ai plus jamais revu, après ces quelques jours passés au même endroit, ne se doutent pas de l’importance qu’ils ont eu dans ma jeune vie. Leur disponibilité, leur charisme, leur humanité et leur savoir ont contribué à structurer ma personnalité. Le hasard a fait que je les rencontre juste au  bon moment afin qu’ils puissent me donner ce qui m’était alors nécessaire pour grandir.
L’un m’a appris la curiosité. Il m’a surtout donné des clés d’accès à la culture et aux idées et le moyen –inépuisable- d’enrichir ma réflexion et mon esprit.
L’autre m’a permis de surmonter ma timidité, de prendre confiance en moi afin de pouvoir laisser s’exprimer tout mon potentiel.

Je pense souvent à eux deux, au détour d’une lecture, d’un spectacle… Et la photo de ce décor de théâtre a immanquablement déclanché en moi le souvenir de cette période de ma vie.
Merci à vous donc de me permettre de rendre aujourd’hui à ces deux belles personnes cet hommage tardif mais sincère.  

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Commentaires
M
Et j'ai oublié de dire le titre de ce spectacle "Merci la Vie"!
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M
Chère Mamido, merci de ton témoignange si beau et si touchant. <br /> <br /> La photo de ce décor de théâtre qui t'a déclanché ces souvenirs il faut que je te l'explique.<br /> <br /> Cela provient d'un spectacle joué par des amateurs (une centaine, et certains étant défavorisés) pour faire revivre la vie en Lorraine des années 1935 à 1955. Pour ce faire des témoignages ont été recueillis auprès des "aînés" qui sont venus eux-mêmes les faire partager aux spectateurs. <br /> <br /> Une série de fresques vivantes et animées ont fait revivre cette époque. Tout cela pour raviver les souvenirs des anciens et pour susciter la curiosité des plus jeunes. Un spectacle qui vient nous rappeler le lien profond qui unit nos générations et notre histoire.<br /> <br /> Des poèmes de Jean Debruynne ont été lus dont celui-ci :<br /> <br /> "Chaque homme et chaque femme<br /> <br /> est toujours pétri de ce qu'il a vécu.<br /> <br /> Faites de votre mémoire une naissance,<br /> <br /> pas un vieux souvenir, mais une semence".<br /> <br /> J'ai vu ce spectacle deux fois et j'en garde un très beau souvenir. Il y eut des moments très forts, touchants, amusants, prenants ... Je crois qu'ici tous et toutes l'auraient apprécié !
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S
Un libraire et un comédien enthousiastes et désintéressés qui ont su t'initier et te transmettre leur passion. <br /> <br /> C'est aussi cela la pédagogie.
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A
Superbe hommage. Il est des cours barbants qui ne nous apprennent rien et nous enlèvent même toute confiance et goût de bien faire. Alors que par la grâce de certaines brèves rencontres, nous pouvons (re)naître dans une joie légère à ce qui est vraiment notre destin. Merci Mamido!
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C
Les photos déclenchent bien souvent des souvenirs de toutes sortes. Merci de nous avoir fait partager cette tranche de ta jeunesse, qui n'est pas si loin finalement, car tu t'en souviens plutôt bien!
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E
Il est bien de rendre hommage aux "aiguilleurs" de rencontre dans notre vie...On en a tous quelques uns, que nous avons peut-être oublié de remercier.
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L
Il est rare que le souvenir porte aussi bien..<br /> <br /> La qualité de la rencontre est une question de circonstances et d'Etres.<br /> <br /> La gratitude en reste le parfum.. avec ces mots tissés de vos "regards". Merci de les avoir partagés ici.
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V
je ne t'ai point aimé? <br /> <br /> qu'ai-je donc fait?<br /> <br /> merveilleux ce texte !!!
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V
Très émouvant de sincérité.<br /> <br /> Je me souviens, dans ma petite enfance, d'un lieu où l'ambiance était la même, en haute Savoie dans la vallée de Chamonix...<br /> <br /> Il faudrait peut-être que je note les quelques souvenirs qu'il m'en reste.<br /> <br /> Merci pour cet agréable texte<br /> <br /> Sourire<br /> <br /> Vanina
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P
Mamido, je trouve que voilà une bien belle histoire... Je te comprends. J'ai aussi beaucoup de gratitude envers certaines personnes qui m'ont énormément apporté et beaucoup appris. C'est bien de le dire et surtout, de l'écrire...
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V
Il suffit d'une image pour faire resurgir de merveilleux souvenirs... standing ovation pour Mamido, les administrateurs des Défis et vous tous également !
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W
C'est bien de nous rappeler que nous ne sommes finalement que rencontres...
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M
Dis tout de suite qu'on est vieilles, Isabelle et moi, non mais oh, ça va pas la tête!!!
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J
Du coup tu dois bien aimer ce résumé du Cid en un alexandrin par Georges Fourest "Qu'il est joli garçon l'assassin de papa" !<br /> <br /> <br /> <br /> Le plus dingue, c'est de découvrir l'âge d'Isabelle Adjani. On ne voit pas le temps passer, comme disait l'autre !
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J
Va, on ne te hait point !<br /> <br /> <br /> <br /> Bravo et merci d'avoir partagé ce beau souvenir, Mamido !
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