Lâcher la proie pour l'ombre (Poupoune)
Lâcher la proie pour l'ombre
Je suis trouillarde. Depuis toujours. J’entends encore ma mère dire à qui voulait l’entendre, d’aussi loin que je me souvienne, que j’avais même peur de mon ombre. Et tout le monde riait. Mais tout le monde n’avait pas à vivre avec mon ombre.
On n’imagine pas ce que c’est que vivre sous la menace permanente d’une présence trouble à ses côtés, en sachant qu’on ne peut rien y faire, qu’il est inutile de lutter, que la fin est inéluctable. Non, on n’imagine pas.
Moi je sais. Et j’ai tout tenté. En vain. J’ai même fini par admettre qu’il est impossible de se débarrasser de son ombre, sauf à vivre dans une ombre plus grande encore, mais autant s’enfermer avec ses pires cauchemars et se laisser mourir de peur.
Alors j’ai décidé de mettre un terme à cette existence de terreur sans nom.
Dans l’obscurité de ma chambre aux volets clos, où ne filtrait aucune lumière, temporairement débarrassée de mon double ombrageux et de l’épouvante qu’il m’inspirait, je me suis passée une corde au cou avec pour seule consolation de pouvoir mourir comme je n’avais jamais su vivre : sereine.
Mais c’est à ce moment-là que ma mère, alertée par le bruit, est entrée dans ma chambre en allumant la lumière, si bien que la dernière image que j’emporte dans la tombe est mon ombre gigantesque et gesticulante sur le mur, effrayante pour l’éternité.